samedi 1 février 2014

L'ordre et la morale (2011)


S'il est un réalisateur français qu'on ne saurait qualifier de tiède, c'est bien Mathieu Kassovitz. Dès son deuxième film, "La haine", il fut accusé de partialité : prenant fait et cause pour les jeunes des "quartiers", Kasso livrait là un film coup-de-poing, largement anti-police, mais redoutablement efficace d'un point de vue cinématographique. Depuis, sa carrière a connu les sommets du box-office (avec notamment "Les rivières pourpres"), avant de connaître une dégringolade dès lors qu'il traversa l'Atlantique (j'ai déjà parlé de "Babylon AD" dans ces colonnes). "L'ordre et la morale", son dernier long-métrage, revenait sur la tragique prise d'otages d'Ouvéa (en Nouvelle-Calédonie) qui vit sa conclusion dans un assaut sanglant en 1988. Face à l'échec public, à la polémique déclenchée par le film et au fait qu'il ne récolte qu'une nomination aux César, Mathieu Kassovitz réagit par des tweets virulents au sujet du cinéma français, qui n'est sans doute pas prêt de lui pardonner.

Alors que l'élection présidentielle de 1988 se prépare, en Nouvelle-Calédonie, c'est l'insurrection. Un groupe d'indépendantistes kanaks vient de prendre en otage vingt-sept gendarmes français. Le GIGN, avec à sa tête le Capitaine Legorjus, arrive sur place et découvre que l'Armée a mis en oeuvre les grands moyens. Des négociations s'ouvrent alors, mais la tension est telle que tous craignent que le pire arrive. 

Malgré ce que l'on pu lire ça et là dans la presse, lors de la sortie du film, "L'ordre et la morale" n'a pas nécessairement la complaisance dont on l'a accusé. Personne n'y est complètement bon ou mauvais. En cherchant ça et là sur la Toile, il est difficile de se faire une réelle opinion sur la véracité des faits décrits là. Je me contenterai donc de parler du film, sans évoquer (n'en ayant pas la compétence) l'aspect historique qu'il prétend avoir. Ceux qui souhaitent polémiquer (qu'ils soient dans un camp ou dans l'autre) peuvent donc aller voir ailleurs, merci. 

Avec "L'ordre et la morale", Mathieu Kassovitz retrouve en partie le ton qui avait habité "La haine". Souvent filmé comme un reportage (le décompte des jours avant l'assaut final y est pour beaucoup), le film évolue dans la zone floue qui sépare documentaire et fiction pure. Il faut reconnaître que le réalisateur maîtrise parfaitement ce style et sait semer le trouble dans l'esprit du spectateur.

C'est cependant dans les scènes les plus cinématographiques que Mathieu Kassovitz fait montre de son talent. Certaines scènes (et pas forcément les plus tapageuses) démontrent, s'il en était besoin, la maestria technique dont l'enfant terrible du cinéma français est capable. A cela s'ajoute un montage redoutablement efficace et une bande originale du tonnerre (ré-entendre les Tambours du Bronx fait toujours son petit effet).

J'émettrais des réserves sur l'interprétation, parfois inégale, certains acteurs donnant l'impression, par moments, de lire leur texte (il s'agit peut-être d'un défaut généré lors de la post-production). Ce défaut (mineur) renforce l'impression d'assister à la projection d'un documentaire et de générer le malaise évoqué plus haut.

Certes, "L'ordre et la morale" est porteur d'un parti-pris et peut, pour certains, paraître ré-écrire l'histoire. Encore une fois, ce n'est pas l'objet de cette chronique que de juger s'il est fidèle ou non aux événements. En tant que film, il est cependant assez réussi et aurait mérité que l'on passe outre la maladresse de son propos et les réactions plus que virulentes de son réalisateur. 


17 commentaires:

  1. Merci pour cette chronique, Laurent, c'est très intéressant. Cela fait plusieurs fois que je passe à côté du film. Il faudrait que je me décide à m'y frotter. J'ai un peu de mal avec la personnalité de Mathieu Kassovitz, mais il faudrait que je passe outre, tout de même, car je le sais capable de bonnes choses sur le plan artistique. J'ai un vrai respect de spectateur pour le cinéaste et l'acteur qu'il peut être.

    Bref... à voir. En attendant, sans vouloir démarrer la polémique, je reviens sur le point où tu dis que le cinéma français n'est pas prêt de lui pardonner ses excès. Mouais. C'est là justement ce que je trouve très discutable à son propos. Enfant terrible du cinéma français, il l'est, enfant maudit... je ne crois pas. Quelques jours après avoir attaqué le cinéma français dans son presque-ensemble, "Kasso" était l'invité des Césars pour remettre un Prix... et en recevoir un autre. Il est un peu "tricard" vis-à-vis de certaines personnes, sans doute, mais ça ne l'a jamais empêché de faire son métier, pour autant que je puisse en juger.

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    1. J'ai beaucoup aimé, dans ses premiers films, l'attitude de Mathieu Kassovitz et son travail de cinéaste. Avec les années, j'avoue être moins indulgent quant à certaines positions qu'il tient, sans qu'elles soient "raccord" avec ses actes, comme tu le dis. Il y a sans doute là de la maladresse, cela dit.
      Merci d'être passé sur ce blog.

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  2. Je te rejoins sur l'interprétation des acteurs, la majorité sont mauvais faut le dire. Malgré ça, je trouve personnellement ce film fantastique, matérialisant avec brio le dispositif cinématographique comme processus de mémoire, pour ne pas oublier les choses que beaucoup tentent d'oublier. Kassovitz ose remuer la merde dans un travail formel superbe, parfois on dirait du Malick. Comme tu le dis très bien, il n'accuse pas, il ne fait que montrer.

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    1. En préparant cet article, je me suis beaucoup documenté, d'un côté comme de l'autre et j'ai effectivement trouvé qu'au final, le film restait plus démonstratif que partisan (heureusement).
      Merci de ta fidélité à ce blog.

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  3. Un très grand film. Par contre, pas plus choqué que cela par le jeu des acteurs.

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    1. J'avoue que ce point m'a un peu gêné (mais ça vient peut-être de moi).
      Merci de ton passage.

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  4. Moi non plus, les acteurs m'ont paru bons dans l'ensemble, bien moins nazes que d'autres dans des films plus populaires. Je dirais que le film a subi les affres de son distributeur, en l'occurrence UGC, qui l'a déprogrammé du mois de septembre qui brillait par son absence de grosses machines américaines ou françaises au 14 novembre où il se retrouvait face à Twilight 4. Je vous laisse imaginer le carnage en salles. Dès lors, impossible pour le film de se faire une véritable réputation vu qu'il a été ignoré en salles et vraisemblablement tout autant en DVD. Dommage pour le meilleur film français de l'année 2011 (loin devant The artist par exemple) qui dézingue les décisions politiques de l'époque bloquées à cause d'une élection évidente. Le film s'est fait taxé de socialiste à cause qu'il montrait le débat Mittérand-Chirac, sauf qu'à ce moment Kasso ne prend aucun point de vue pas même le sien. La musique ne cesse d'annoncer la tempête à venir et certains plans aériens ne sont pas sans faire à du Malick.

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    1. Pour ce qui est du jeu des acteurs, les avis sont vraiment partagés, semble-t-il (voir l'avis de Max, plus haut).
      Il est vrai que la sortie face au quatrième opus de la franchise-avec-des-vampires-pour-adolescentes laissa peu de chance à ce film. Mais je persiste à penser que le thème était peu "vendeur" et que les déclarations de Kassovitz tombèrent mal : le grand public préfère en général les interventions "comme il faut" de réalisateurs plus conformes au politiquement correct.
      Je n'irais pas jusqu'à placer ce film dans mon top de 2011, mais c'est vrai qu'il fut chez mal jugé.
      Merci de ton passage, toujours pertinent.

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    2. Franchement en septembre, il aurait beaucoup mieux marcher je pense surtout qu'encore une fois le film avait le champ libre. Là il s'est pris de plein fouet le Twilight, l'empêchant d'avoir une réelle exploitation. En tous cas, j'avais fait le déplacement à sa sortie et j'en suis bien content.
      Sauf que les propos ont été dit bien après la sortie du film et je respecte davantage Kasso (malgré ses échecs monumentaux aux USA) que n'importe quel traîne-savate présents aux Césars. Qu'il emploie un vocabulaire chartier ou non.

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    3. Je pense aussi que le sujet du film ne jouait pas en faveur d'un grand succès populaire. Le drame d'Ouvéa (et ses nombreuses zones d'ombre) ne fait pas partie des heures de gloire de la République, mais est encore trop proche pour qu'on s'y penche sans amertume.
      Comme je le disais en préambule, Kassovitz est tout sauf un tiède : à ce titre, il déclenche souvent la polémique, volontairement ou non.

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    4. Pas forcément un succès populaire, mais au moins d'estime. La haine n'avait rien de franchement populaire au départ, c'est la polémique qu'il a fait à Cannes qui l'a rendu populaire.

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  5. Je ne me rappelle pas avoir été choqué par le jeu des acteurs. Un excellent film français, qui comme trop souvent a été balayé d'un revers de main par les gardiens du temple culturel français... En même temps c'était assez facile vu le sujet du film et le comportement de Kassovitz avec les médias...

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    1. Tous les ingrédients (La personnalité du réalisateur et le thème abordé, notamment) étaient, réunis pour que la polémique naisse de ce film, il est vrai, en dehors de la masse.

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  6. Du très grand cinéma comme j'aimerais en voir plus souvent. Kasso réalise l'un de ses meilleurs films et arrive à nous faire oublier ces merdes monumentales que sont "Gothika" et "babylon A.D".

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    1. Je ne suis pas aussi enthousiaste, mais il faut reconnaître que ce film ne méritait pas la volée de bois vert qui l'accueillit.

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    2. à laurent : pour ce qui est du jeu des acteurs certain sonne en effet un peu faux mais cela n'affecte en rien la qualité du film je trouve .

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    3. Au visionnage, cela m'a heurté (mais c'est un ressenti du moment) : cela donnait un ton "documentaire" qui n'apportait rien au film, bien au contraire.

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