samedi 29 juin 2019

Le bout du monde (2019)


Le filon initié par la formidable série "Stranger Things" ne pouvait rester inexploité. Exploitant la nostalgie des années 80 (souvent pour la servir sur un plateau à un public ne l'ayant pas connue, d'ailleurs) et une forme de candeur dont l'actualité manque cruellement, nombreux sont les médias recyclant, avec plus ou moins de bonheur, les recettes qui firent le succès des films de cette décennie. Aujourd'hui, "Les Goonies", "Retour vers le futur" ou "E.T." font figure de classiques (parfois inattendus), auxquels des hommages parfois maladroits, sont rendus (pas toujours de manière désintéressée). McG, réalisateur de "Terminator Renaissance" (entre autres), passé sous le pavillon de Netflix, nous a récemment proposé "Le bout du monde" ("Rim of the world", pour les anglophones). 

Adolescent féru d'astronomie et ne sortant jamais de chez lui, Alex est envoyé par sa mère au camp du bout du monde pour y passer les vacances. A son arrivée, il va faire la découverte d'activités qui ne sont pas faites pour lui, et la rencontre d'autres enfants, venus là sans forcément le vouloir. Mais, un beau jour, alors qu'Alex se retrouve seul avec Zhen Zhen, Darius et Gabriel, le petit groupe découvre que tout le monde a quitté le camp. Pire encore : des extra-terrestres ont attaqué la Terre. En voilà, des vacances pas ordinaires !

Pour vérifier que l'exercice de style est réussi, vérifions tout d'abord que les ingrédients classiques de la recette sont présents : l'équipe de héros est composée de quatre gamins avec un passé compliqué et/ou une famille dysfonctionnelle (check !), va affronter un péril qui sort de l'ordinaire (check !) pour le vaincre mieux que ne l'auraient fait des adultes entraînés (check !), en jouant de leurs talents respectifs (check !).
La checklist est complète : il ne reste plus qu'à assembler les différents composants. Qui sait ? Avec un peu de talent, on pourrait assister à la genèse d'un de ces films que nous aimions tant, autrefois, et pas seulement à une tentative d'exploiter un filon juteux.
Ne tournons pas autour du pot trop longtemps : pour le coup, c'est raté et de façon magistrale. Très vite, l'impression d'avoir affaire à un assemblage totalement artificiel et opportuniste l'emporte sur le plaisir qu'on avait décidé de prendre en visionnant "Le bout du monde". On pourra m'objecter que le public visé est sans doute à choisir parmi les franges les plus jeunes des spectateurs : c'est un peu facile et c'est surtout prendre les enfants pour bêtes qu'ils ne sont. 

McG, repéré pour "Charlie et ses drôles de dames", est sans doute adepte d'un cinéma efficace. Il a visiblement oublié, ici, d'être rigoureux. Incohérences et raccourcis sont légion, tant dans le scénario que dans la mise en scène, au point de nuire à la crédibilité de l'ensemble. Multipliant les références, souvent de façon balourde,  de "Jurassic Park" à "Independance Day" (et j'en passe), McG tente de donner un capital sympathie à un film en roue libre, qui ne se prend jamais au sérieux, alors qu'il faudrait lui insuffler un minimum de crédibilité pour qu'il fonctionne.

Il est là, le problème essentiel du "Bout du monde" : à trop vouloir amuser et s'amuser, le réalisateur oublie un point majeur : pour bien conter une histoire, il faut commencer par y croire. Il n'en est rien, ici et on a la fâcheuse impression que McG n'adhère pas à ce qu'il raconte, voire pire, qu'il s'en moque totalement. Alors qu'autrefois (bigre, je parle comme un vieux, là), on sentait que le réalisateur était attaché à l'univers qu'il utilisait et aux personnages mis en scène, on ne ressent pour les quatre compères de "Rim of the world" aucune empathie. 

Caricatures ambulantes, les quatre jeunes héros de "Le bout du monde" agacent plus qu'ils n'attirent l'attachement et, lorsqu'ils commettent des erreurs, on s'en réjouirait presque. Quand vient le dénouement, on est finalement content de les quitter : ce ne fut jamais le cas des classiques dont "Le bout du monde" revendique l'hérédité.






lundi 24 juin 2019

Papillon (2018)




Pourquoi le cinéma actuel produit-il tant de remakes ? Compte-t-il sur l'amnésie des cinéphiles, gageant qu'ils auront oublié les films originaux ? Espère-t-il faire mieux que la fois d'avant ? Ou, et je penche pour cette hypothèse, manque-t-il cruellement d'audace et d'imagination, en se disant que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes (et qu'il faudra la vendre, la soupe en question ? Je ne compte plus les remakes ou les reboots (leurs cousins proches), ces dernières années, mais bien peu nombreux sont ceux qui ont prouvé leur pertinence. Qui osera affirmer que "Total recall", version 2017, dépasse la version de 1990 ? Qui se souviendra, dans quelques années, des "Sept mercenaires", cuvée 2018, alors que le film de Franklin J. Schaffner fait figure de monument ? Récemment, ce fut au tour de "Papillon", d'après le roman d'Henri Charrière, d'être l'objet d'une nouvelle version : pour le coup, ça n'a pas déchaîné les foules.


Paris, années 1930 : Henri Charrière, dit "Papillon" à cause du tatouage qui orne sa poitrine, tombe dans un piège. Accusé à tort du meurtre, il est condamné au bagne. Avec ses compagnons d'infortune, dont l'escroc Louis Dega, qu'il a pris sous sa protection, Papillon va se retrouver à Cayenne, dans de terrifiantes conditions de détention. Dès lors, il n'a plus qu'une obsession : retrouver sa liberté. Malgré la violence, malgré l'ombre de la guillotine, malgré la jungle et la mer, Papillon va tout faire pour s'évader. 

Il est difficile, pour un réalisateur, de se voir confier pareil projet. Michael Noer, cinéaste danois, déjà repéré dans son pays pour des films comme "R" (qui traitait déjà de l'emprisonnement) ou "Nortwest", a droit à un baptême du feu de haut niveau, en se voyant confier se remake. La première version de "Papillon", datant de 1973 (l'année du décès d'Henri Charrière), restait indépassable aux yeux de bien des cinéphiles, et risque de garder son statut, malgré la bonne volonté évidente du réalisateur. S'acharnant à donner le maximum de réalisme à son film, à force de violence et de crasse, sans doute pour l'ancrer dans la réalité de l'époque. Le résultat est paradoxal, puisque malgré les moyens mis à sa disposition, Noer ne réussit pas à donner à son film le supplément d'âme nécessaire. S'il ne doit rester qu'un "Papillon", ce sera celui de Schaffner. 

Il est difficile également de passer derrière derrière le jeu tout en nerfs de Steve McQueen, dans le classique de 1973 : Charlie Hunnam, jouant du muscle et de l’œil qui pétille, n'arrive hélas pas à la hauteur de son illustre aîné. Malgré tous ses efforts et tout ce qu'il entreprit pour s'immerger dans son personnage, celui qui porte sur ses épaules le film n'a hélas pas le charisme nécessaire. Face à lui, dans un rôle secondaire, mais indispensable, le même constat s'applique à Rami Malek, qui assume tant bien que mal la difficile succession de Dustin Hoffmann. L'ombre des deux géants écrase leurs successeurs, j'en ai bien peur. 

Au final, "Papillon" est un remake pour rien, bien en-dessous de son modèle, et surtout d'une utilité bien discutable. Il serait temps que l'industrie cinématographique cesse de se réfugier dans la facilité (quoique je doute que les conditions de tournage aient mérité ce qualificatif, en l'occurrence), et ose donner leur chance à des réalisateurs et scénaristes défrichant de nouveaux territoires. Tout le monde en sortirait gagnant.





mercredi 19 juin 2019

Au poste ! (2018)


Cinéaste décalé, voire bizarre, Quentin Dupieux s'est fait un nom avec quelques films qui marquèrent leur public : de "Rubber", dont le héros était un pneu, à "Réalité", où il était question de la recherche du cri parfait, le moins que l'on puisse dire, c'est que le réalisateur ne suit pas les sentiers balisés et qu'il se crée un univers bien à lui, où l'inattendu règne. Avec "Au poste !", cependant, on pouvait penser avoir affaire à un film plus sage, où deux acteurs, Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig, se faisaient face. Ce fut pour moi l'occasion d'entrer dans l'univers de Dupieux, par la porte du commissariat.

Interrogé au sujet d'un meurtre, parce qu'il a découvert un cadavre en bas de chez lui, M. Fugain a face à lui le commissaire Buron, un policier particulièrement difficile à convaincre. En plongeant dans le témoignage du suspect, le représentant de la loi va tenter de comprendre ce qui s'est passé et de savoir si Fugain est vraiment innocent. Tout semble conspirer contre ce dernier, cependant, et ses explications n'arrangent rien.

Résumé comme ça, "Au poste !" pourrait faire penser à "Garde à vue", magnifique classique du cinéma français, qui avait donné lieu à un superbe duel d'acteurs. Mais ce serait sans compter Quentin Dupieux, alias Mr Oizo,  pour donner sa vision de ce qui pourrait être un exercice imposé. Utilisant une esthétique des années 70 (pour les décors, les accessoires, les costumes) et multipliant les références, le réalisateur invite à plusieurs reprises le spectateur à glisser vers la farce avec lui, sans l'y forcer. Le procédé est malin et il faut reconnaître que tout cela fonctionne, pour peu qu'on accepte de se prêter au jeu. 

Si "Au poste !" peut désarçonner, il comporte de vrais moments de fantaisie qui donnent un bel aperçu du talent de son réalisateur et scénariste. Alors, s'agit-il d'une vraie intrigue policière ou seulement d'une gigantesque blague ? Quel est le véritable but de la démarche de Quentin Dupieux ?  En voilà, de bonnes questions, dont je ne suis pas sûr qu'elles trouvent une réponse. 

A défaut, "Au poste !" est une proposition de cinéma qui sort, c'est le moins qu'on puisse dire, des sentiers battus. Pour accompagner le téméraire spectateur dans cette étrange ballade (quoique mon petit doigt me dit qu'il ne s'agit sans doute pas de la plus bizarre des ballades proposées par Dupieux), le casting inédit est une vraie réussite : Benoît Poelvoorde est convaincant et ne part pas en roue libre (ce qui fut parfois le cas par le passé), et Grégoire Ludig tient sans doute là sa meilleure prestation (ce qui n'était pas très difficile). Derrière eux, les seconds rôles s'amusent bien et contribuent efficacement à la crédibilité de l'ensemble. 

Court (73 minutes), mais efficace, "Au poste !" a le mérite de sortir des sentiers battus et rebattus où nous entraîne trop souvent le cinéma hexagonal. Sans être un caillou dans la chaussure du septième art, il a le mérite d'entrouvrir une porte. Au spectateur de s'y glisser (ou pas)....


vendredi 14 juin 2019

L'intervention (2019)


A la (dé)faveur d'actualités tragiques, le grand public a une image héroïque du G.I.G.N.. Déjà évoqué dans "L'assaut", ce groupe d'élite, né dans les années 1970, est finalement mal connu. Avec "L'intervention", le réalisateur Fred Grivois proposa, pour son deuxième long métrage après "La résistance de l'air", de revenir sur la genèse de cette unité. Malheureusement, malgré la cote d'amour dont le G.I.G.N. est doté, ce film ne fut pas le succès attendu. 

1976 : à Djibouti, colonie française, un groupe armé prend en otage les enfants passagers d'un bus scolaire, avant de s'échouer dans le no man's land qui sépare ce pays de la Somalie. Pour éviter le carnage, Paris envoie sur place un tout jeune officier, à la tête d'une unité de tireurs d'élite. 
Ils n'ont que quelques heures pour agir...

En choisissant volontairement une mise en scène tenant du documentaire, des couleurs souvent froides, un ton très réaliste, Fred Grivois opte, dès les premières minutes pour l'authenticité et la reconstitution. Le film est, on le sent, le fruit d'un travail d'enquête minutieux et représente sans doute la synthèse d'énormes recherches de la part du réalisateur. L'histoire qui se joua, lors de ces heures particulières, est mal connue et méritait d'être mise en lumière. En cela, "L'intervention" est une démarche louable et qui mérite d'être saluée.


Sur la forme, "L'intervention" tient en partie ses promesses. La mise en scène est nerveuse et réussit à tenir le spectateur en haleine durant toute la durée (courte) du film. Cependant, alors que certaines scènes séduisent par leur efficacité sobre (je songe, par exemple, à celle du tir simultané), d'autres plombent le film, telles le gunfight final, fusillade que n'aurait pas renié Peckinpah. Paradoxalement, ces séquences sont les moins convaincantes du film. 

Au nombre des écueils contre lesquels le film s'échoue, il y a également les personnages, tenant plus de la caricature que du portrait. Le groupe de tireurs est un assemblage de stéréotypes, comme s'il fallait absolument respecter cette recette qui semble être universelle dès qu'il s'agit de décrire un groupe d'hommes en armes. C'est d'autant plus dommage que la distribution est plus qu'honnête, les prestations des acteurs étant particulièrement justes.


On soulignera l'efficacité de la démarche qui, tout en rendant hommage à l'équipe qui sera à l'origine du GIGN, n'en fait pas pour autant des surhommes. A titre de comparaison, le médiocre "Forces spéciales" devenait contre-productif, tant il relevait du clip promotionnel. Malgré quelques fautes de réalisation et l'utilisation de clichés embarrassants, "L'intervention" est un film plutôt efficace.






dimanche 9 juin 2019

La lutte des classes (2019)


Il est quelques cinéastes français dont j'apprécie particulièrement le travail. En matière de comédie, Michel Leclerc est de ceux-là. Même si son récent "La vie très privée de Monsieur Sim" ne m'avait pas particulièrement convaincu, la bande-annonce de "La lutte des classes", son dernier opus, m'a suffisamment attiré pour que j'aille voir le film à sa sortie. Avec, en tête d'affiche, Leïla Bekhti et Edouard Baer, ce long métrage portait un gros capital sympathie, en plus de traiter d'un sujet potentiellement riche. Il faut croire que ces atouts n'ont pas suffi, puisque le film n'est pas resté très longtemps à l'affiche.

Paul et Sofia viennent d'acquérir une petite maison en banlieue de Paris. Lui est chanteur dans un groupe punk, tandis qu'elle est une brillante avocate. Fidèles à l'esprit républicain et à la laïcité, ils s'étonnent lorsque leurs amis inscrivent leurs enfants dans des écoles privées. Leur fils, Corentin, restera dans le public, malgré les difficultés quotidiennes qu'il y rencontre. Pour Paul et Sofia, vient le temps où les convictions se heurtent aux aspirations. 

Il y a plein de choses, dans "La lutte des classes". Michel Leclerc y évoque les choix scolaires, la déliquescence de l'Education Nationale, la laïcité, la banlieue, et la liste n'est pas exhaustive. Il y a aussi de nombreuses approches, de la comédie burlesque à son pendant romantique, en passant par l'approche sociale et quelques éclats empreints de nostalgie (la scène où Paul invoque ses parents fait appel de jolie façon au "Nom des gens", par exemple). 

Il y a peut-être trop de matière et trop de traitements différents, d'ailleurs, à bien y réfléchir. A courir trop de lièvres à la fois, Michel Leclerc livre un film un peu foutraque, une comédie sociale qui parle des bobos (et sans doute surtout faite pour les bobos), fort sympathique, mais pas totalement satisfaisante. 

J'ai beau avoir un a priori très positif sur le cinéma de Michel Leclerc, apprécier Edouard Baer et Leïla Bekhti, il faut bien reconnaître que "La lutte des classes" n'est pas totalement réussi, sans doute parce qu'il part dans plein de directions intéressantes, qu'il s'aventure sur plusieurs chemins qui auraient mérité chacun un film complet, et aussi qu'il se conclut de façon abrupte, pour ne pas dire bancale. 

Alors, bien sûr, il y a l'énorme charme et l'énergie que dégage le casting, qu'il s'agisse des deux comédiens en tête d'affiche, mais également des seconds rôles, dont Ramzy Bédia (en directeur d'école tenant plutôt du shérif), Baya Kasmi, co-scénariste et interprétant une enseignante prisonnière du vocable officiel, et les enfants, tous épatants de naturel. Leur conviction et la belle énergie qu'ils déploient peuvent suffire à faire envie, mais "La lutte des classes" laisse un goût d'inachevé, hélas.





mardi 4 juin 2019

Les invisibles (2019)



Le dernier film de Louis-Julien Petit, qui avait déjà eu droit à un billet dans ces colonnes avec son très chouette "Discount", mérite-t-il sa place ici ? D'ordinaire, se retrouver chroniqué dans ce blog, cela signifie avoir essuyé un échec critique ou public, voire les deux. Si on regarde de plus près les chiffres au box-office et les critiques lues dans la presse lorsqu'est sorti le film "Les invisibles", on peut se dire que sa présence ici relève du hors-sujet. Cependant, au vu du thème évoqué, je considère que son audience aurait sans doute due être plus large.

L'Envol, centre d'accueil de jour dirigé par Manu est pris d'assaut, chaque matin, par des dizaines de femmes sans abri. Mais les temps changent et les politiques décident que ces invisibles aillent se faire loger ailleurs : on les a assez vu, sans doute. Qu'à cela ne tienne, Manu et son équipe vont contourner cette décision et tout faire pour ramener ces femmes vers la lumière.
Le temps leur est compté, mais tous les moyens sont bons pour assurer à ces femmes perdues la réinsertion qu'elles méritent.

Féministe, social, revendicatif, "Les invisibles" se penche sur un sujet rarement exploité au cinéma : le cas des femmes sans domicile fixe, errant d'un centre à un autre, n'a pas vraiment été sous les projecteurs, même dans les journaux télévisés, d'ailleurs. En mettant ces invisibles dans la lumière, Louis-Julien Petit fait donc oeuvre d'utilité publique. Le réalisme, quasi-documentaire, de son film, renforce cette impression, comme c'était déjà le cas pour "Discount" et "Carole Matthieu", les précédents opus du réalisateur. 

On pourrait penser, en visionnant la bande annonce, que "Les invisibles" est une comédie sociale à la française. Ce n'est pas tout à fait vrai. il comporte, certes, des scènes d'une vraie drôlerie, mais a aussi son lot de drames, qui pèsent plus lourd dans la balance que la part de comédie. A l'image de la vie, particulièrement vacharde pour les héroïnes de ce film, "Les invisibles" comporte de vraies tranches de drame. Mais, à l'instar de "Discount" (promis, j'arrête de citer ce film), on ne sort pas anéanti de cette plongée dans la misère humaine. Au contraire, bien que confronté à une réalité que d'aucuns aimeraient garder invisible, le spectateur normalement constitué devrait se sentir regonflé face à l'énergie déployée par les femmes qui défilent à l'écran. N'en déplaise à ceux qui leur font obstacle (la séquence où sont installés des dispositifs anti-sdf sur le mobilier urbain est édifiante, parce que réelle),  "Les invisibles" montre qu'on ne résoud pas un problème de société en le cachant comme la poussière sous le tapis.

Celles qui portent ce film et assurent sa réussite, ce sont ses interprètes, pleines de sincérité et de spontanéité. Souvent poussées à improviser, les actrices, confirmées ou débutantes, sont remarquables. Qu'il s'agisse de la toujours épatante Corinne Masiero (fidèle au réalisateur et dont on devine que le sujet la touche), de l'incandescente Sarah Suco, d'Audrey Lamy (enfin convaincante), de la très énergique Déborah Lukumuena ou de Noémie Lvovski (qui ne m'avait jusque là que rarement touché) et surtout des actrices non professionnelles (formidables de naturel), vous n'êtes pas prêts de les oublier. Trimbalant leurs gros sacs, qui contiennent toute leur vie, ces femmes, pour certaines très en phase avec celles qu'elles interprètent méritent à elles seules le visionnage du film.

Parfois maladroit, mais toujours sincère, "Les invisibles" est un film nécessaire. Lors de sa sortie, il a été projeté en haut lieu (à l'Elysée), ce qui ne fut guère suivi d'effet. Espérons qu'il saura, dans la seconde partie de sa carrière (c'est-à-dire après son passage sur grand écran), interpeller ses spectateurs.