En 1701, au Japon, un groupe de samouraïs dont le daimyo avait été contraint de faire seppuku décida de venger son maître déshonoré. Ils allèrent jusqu'au bout de leur vendetta, tout en sachant qu'elle ne pouvait que les conduire, eux aussi, au suicide rituel. Aujourd'hui encore, après avoir donné lieu à maints traitements, et par nombre de médias différents, l'histoire de ces 47 ronin fait partie de l'histoire nationale du Japon, tant elle porte au pinacle la notion même d'honneur. La dernière adaptation en date de cette histoire nous est venue d'Hollywood et, après une genèse chaotique, fut un échec commercial cinglant.
Kai, enfant trouvé dans les bois, est un sang-mêlé que Naganori Asano, le daimyo de la province de Ako a recueilli tout bébé. Lorsque le grand Shogun, accompagné du seigneur Kira, vient visiter Ako, des festivités en l'honneur du maître du Japon sont organisées, dont un duel entre les champions de Asano et celui du Shogun.
Le perfide Kira, par l'entremise de la sorcière qui le seconde, prend Asano au piège. Contraint au suicide rituel, le daimyo laisse ses samouraïs (et Kai) sans maître. Devenus des ronin, ceux-ci jurent de venger l'honneur d'Asano...et donc de tuer Kira.
L'histoire des 47 ronin est une véritable ode à l'honneur, tel qu'il est célébré par les samouraïs japonais. C'est sans doute de peur que le public ne puisse franchir le fossé culturel séparant cette culture des repères occidentaux que les scénaristes ont pris pas mal de libertés avec l'histoire originale. S'emparer d'un mythe, que dis-je, d'un monument national, pour en faire une oeuvre destinée à un public international, soit. Mais, en l'occurrence, l'histoire des 47 ronins a été sacrément passée à la moulinette pour pouvoir être ingérée par tous.
Non content d'y greffer un personnage occidental, interprété ici par Keanu Reeves (toujours aussi peu expressif), les producteurs ont cru bon d'ajouter à la très belle histoire de ces samouraïs perdus une épaisse couche de fantastique, pensant sans doute que, parce que c'est en vogue, cela rendrait le film plus bankable. Voyant sans doute que cela ne suffisait pas, ils usèrent du gros levier de la romance impossible entre Kai et la fille du daimyo, quitte à obtenir un film extrêmement chargé.
Doté d'un budget dantesque (200 millions de dollars, paraît-il), "47 Ronin" les engloutit dans des décors somptueux, des costumes superbes, mais aussi pas mal d'effets spéciaux foireux et souvent peu utiles à l'histoire. Le réalisateur, Carl Erik Rinsch, dont c'était le premier long métrage, semble n'avoir à aucun moment contrôlé le projet qui lui fut alors confié.
Après un tournage chaotique et une post-production calamiteuse, de multiples reports de sortie (dus en partie à une inutile conversion en 3D), lorsqu'il sortit enfin en salles, "47 Ronin" partait avec un gros handicap, et fut naturellement le désastre financier annoncé.
Le pire est sans doute que "47 Ronin" n'est même pas l'épouvantable bouse criée ça et là. Doté d'indéniables qualités esthétiques et réussissant par moments à porter l'esprit de l'histoire originelle, ce film maudit reste un honnête divertissement, voire une oeuvre dont transpire parfois le matériau originel, sous les épaisses couches de fantastique, de romance et d'action qui le recouvrent la plupart du temps. Esthétiquement très réussi, "47 Ronin" rate le but qu'on aurait pu lui fixer, à cause d'un scénario lourdingue, alors que l'épure lui aurait conféré de grandes vertus.
On notera enfin une belle bande originale, hélas souvent trop présente, malgré ses qualités.
Il y a fort à parier que "47 Ronin" rejoigne "John Carter" au rang des échecs qui condamnèrent leur réalisateur au purgatoire, avant de finalement trouver grâce aux yeux de quelques fans. En attendant, loin d'être la purge clamée ça et là, ce film mérite sans doute un peu d'indulgence.

