lundi 27 octobre 2014

Dans la cour (2014)


Les personnages mis en scène par Pierre Salvadori sont en général éborgnés par la vie. On se souviendra avec émotion des deux comparses des "Apprentis" (sans doute son meilleur film), interprétés par les inoubliables Guillaume Depardieu et François Cluzet. Le réalisateur a un talent incontestable pour brosser le portrait d'humains malmenés par l'existence, tenant tant bien que mal et craquant souvent. Son dernier film, "Dans la cour", qui mettait en scène un duo inattendu composé de Catherine Deneuve et de Gustave Kervern, était, c'est le moins que l'on puisse dire, ancré dans son époque. Malheureusement, le fait est qu'il ne rencontra pas son public, avec environ 300 000 spectateurs au final.

Antoine, rocker quadragénaire, craque un soir de concert, et laisse tout tomber. Il finit par se retrouver gardien d'immeuble, dans une petite copropriété parisienne. Dans la cour de cet immeuble, se croisent des êtres humains à la dérive. Parmi eux se trouve Mathilde, qui découvre sur un de ses murs une fissure inquiétante, qui va faire naître chez elle une angoisse de plus en plus forte. Se prenant d'amitié l'un pour l'autre, Mathilde et Antoine vont s'accrocher l'un à l'autre...

Bien reçu par les critiques (comme c'est souvent le cas pour ce réalisateur), le dernier film de Pierre Salvadori, après "De vrais mensonges" (en 2010) représente indéniablement un virage dans l'oeuvre de ce metteur en scène. Si ses précédents longs métrages portaient une dose importante de comédie, tout en gardant une dimension sociale et humaine, "Dans la cour" est plus un drame qu'une comédie, malgré quelques moments amusants. Le portrait en creux qu'il brosse de notre société, par le biais de la population de la dite cour, n'incite guère à la crampe des zygomatiques. Mais c'est pour mieux faire vibrer le cœur du spectateur. Car s'il est une chose certaine, chez Pierre Salvadori, c'est l'amour qu'il porte à ses personnages, élément que l'on avait déjà capté dès ses tout premiers films (souvenez-vous du délicieux "Cible émouvante"). Pour transposer à l'écran cet attachement, il pose sa caméra tout en douceur à hauteur de femme et d'homme, pour donner à ses acteurs toute la latitude nécessaire. 

Dire que les comédiens sont remarquables tient de l'euphémisme : Catherine Deneuve tient là son
meilleur rôle depuis longtemps, avec un personnage qui lui permet d'assumer pleinement son âge et les fissures qui vont de pair. Face à elle, Gustave Kervern, à mille lieues de ses pitreries de Groland, se glisse merveilleusement dans la peau d'Antoine, lui apportant une bonhomie mélancolique inattendue. A leurs côtés, le trop rare Féodor Atkine et l'étonnant Pio Marmaï sont également au diapason, et servent justement une belle partition.

Alors, pourquoi pareil insuccès ? Est-ce parce que "Dans la cour" a été vendu comme une comédie et n'en était pas réellement une ? Ou parce que les films de Pierre Salvadori peuvent sembler réservés à un public averti (ce qui est totalement faux) ? J'avoue être en peine d'expliquer pourquoi ce film n'a pas eu plus de succès dans les salles. Pour une fois qu'un film français mérite d'être vu, parce qu'il parle intelligemment de notre monde et de notre vie, il reste surprenant que le public passe à côté...

Une dernière explication (et sans doute la plus valable) à l'échec de ce touchant petit film est à mettre au compte du calendrier. "Dans la cour" sortit sur les grands écrans une semaine après "Qu'est-ce qu'on a a fait au bon dieu ?". Dans l'ombre de cet immense succès (mérité ou non, la question reste posée) du cinéma français, il lui était sans doute difficile de s'en sortir avec les honneurs. On se réfugiera dans cette dernière explication : il est difficile de croire que le public français (connu pour son bon goût) ait délibérément boudé un si joli film.


8 commentaires:

  1. Hello Laurent.

    Je vais dans ton sens, aujourd'hui. C'est un joli petit film, en effet. L'un de mes coups de coeur de cette année. Je ne me souvenais pas qu'il était sorti en même temps que "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?". S'il n'a pas connu le succès, c'est peut-être aussi que les gens rechignent désormais à mettre dix euros dans un drame. Ils vont au cinéma pour se changer les idées, pas pour voir quelque chose qui peut leur rappeler qu'ils vont moins bien que ce qu'ils voudraient. Même si le film est réussi par ailleurs...

    Pour moi, "Dans la cour" est le film de la confirmation du talent de Gustave Kervern acteur. J'aimerais bien qu'on lui donne un p'tit César (ou au moins une nomination). Groland se réduit de plus en plus comme l'une des facettes de ce brave Gus. Et tu as raison de dire que le reste du casting est au diapason, Catherine Deneuve en tête...

    Enfin, j'ai un bon souvenir de ce film, aussi parce que j'ai fait l'interview de son directeur photo, Gilles Henry.

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    1. Bonsoir Martin,
      je ne dois pas être dans la "norme" car je préfère, de loin, aller au cinéma pour "Dans la cour", plutôt que "Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?".
      Je te rejoins totalement sur la prestation de Gustave Kervern : il se révèle ici à moi comme un "véritable" acteur, et plus seulement le reporter de Groland.
      Merci d'être passé, Martin.

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  2. Je suis aussi d'accord avec cette analyse du film que j'ai trouvé très bon comme comédie romantique. Les acteurs sont au diapason d'une histoire qui brosse le portrait d'un immeuble de quartier. Un joli film aussi sur le temps qui passe.

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    1. Je suis content que mon appréciation aie cet écho là. Même si c'est un "petit" film, il est porteur de choses qui peuvent nous parler à tous.
      Merci

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  3. Bonjour Laurent, et bien je fais partie de ceux qui sont passés à côté de ce film. Il y a de bons moments, Catherine Deneuve est en effet formidable, Gustave Kervern aussi mais je n'ai pas été touchée par cette histoire. Bonne soirée.

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    1. Bonsoir Dasola,
      je peux comprendre qu'on passe à côté de cette histoire. Elle a fonctionné, chez moi, sans doute parce que c'était le moment et l'état d'esprit. Il en faut peu, parfois, pour que "ça" marche...ou pas.
      Bonne soirée, à bientôt

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  4. Comme beaucoup de Français je ne suis pas passé "dans la cour" (mais je n'ai rien fait au bon dieu non plus) et je le regrette bien en lisant ce très bel article. Je C'est bon de voir que Pierre Salvadori, en s'éloignant doucement de la clameur comique laisse plus de place pour les écorchures à vif, confirmant tout le bien que l'on peut penser de cet excellent réalisateur.

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    1. J'ai rejoint, tardivement mais sûrement, le collectif de cet immeuble salvadorien et, à l'image de l'excellent article qui précède, je ne le regrette en rien. Rétrospectivement, l'insuccès (relatif, car je pense que Salvadori ne s'attendait pas à casser la barraque avec ce film) de "dans la cour" tient d'abord à son caractère dépressif qui, même s'il s'octroie une sortie par le haut, infuse l'ensemble du film. On est presque plus près de Polanski que de Blake Edwards. Catherine Deneuve est le point d'ancrage de la direction d'acteurs, permettant à Gustave Kervern d'atteindre l'apogée de son jeu d'acteur (Son côté paumé rappelle tant Guillaume Depardieu dans les premiers films du réalisateur) et Pio Marmaï de trouver la juste tonalité pour son junkie (ajoutons Nicolas Bouchaud en parano-maquettiste, comédien bien trop rare au cinéma).
      Bref, j'ajoute ma voix pour inciter tous ceux qui n'auraient pas fait leur passage "dans la cour" à s'y rendre sans délai.

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