Bienvenue sur "Deuxième Séance", blog consacré au cinéma, et plus précisément aux films n'ayant pas connu le succès (critique ou public) lors de leur sortie (à tort ou à raison)...
Maintes fois adapté au cinéma, "Cyrano de Bergerac" fait indéniablement partie du patrimoine culturel français. Son auteur, Edmond Rostand, n'avait guère connu le succès jusqu'à cette pièce et resta à jamais le créateur de Cyrano. En adaptant sa propre pièce de théâtre, qui rendait hommage à Rostand, Alexis Michalik passait pour la première fois derrière la caméra pour "Edmond". Salué par nombre de critiques, ce film ne déchaîna pas pour autant les foules. Alors, Edmond Rostand méritait-il mieux ?
1897 : Edmond Rostand n'a rien écrit depuis sa dernière pièce et la ruine le guette. Pour éviter la ruine, il propose au célèbre acteur Coquelin de jouer dans sa prochaine pièce. Le comédien accepte, mais très vite, un problème se pose : Rostand n'a pas écrit la première ligne de la dite pièce et, alors que la date de la première approche, l'inspiration lui fait défaut. On ne jure à l'époque que par Feydeau et les écrits de Rostand n'ont guère de succès.
Il va devoir, en quelques jours, créer une nouvelle pièce, celle de la dernière chance. Ce sera "Cyrano de Bergerac".
Pour peu qu'on apprécie l'époque décrite (la Belle Epoque), on se régalera au visionnage de "Edmond" : l'immersion, à laquelle concourent décors et costumes, est totale. En s'affranchissant des limites de la scène théâtrale, où il rencontra un immense succès avec le matériau d'origine, Alexis Michalik gagne en amplitude et tire le meilleur de l'esthétique de l'époque. Mais la réussite globale de "Edmond" ne réside pas seulement dans sa forme. Le passage des planches au grand écran s'avère également bénéfique, en amplifiant les effets de rythme propres au théâtre. Presque rocambolesque (dans le bon sens du terme), "Edmond" ne présente aucun temps mort et ses rebondissements donnent une énergie notable à l'histoire qui nous est contée là.
On pense énormément à "Shakespeare in love" en visionnant "Edmond", mais le fait est que ce film dispose tout de même de son identité propre, de sa patte qui en fait une œuvre qu'on a plaisir à visionner. La génèse (fictionnelle) de "Cyrano de Bergerac" et la façon dont un créateur accède enfin au succès qui se refusait à lui jusque là tient du parcours tant initiatique que de la course d'endurance. Pour fantaisiste qu'elle soit, l'histoire pousse le spectateur à admirer d'autant plus ceux qui aidèrent à la création du monument qui éclot pendant le film.
L'interprétation magistrale d'Olivier Gourmet (une fois de plus) dans le rôle de Coquelin est sans doute l'un des plus beaux atouts du film, au point qu'il vole souvent la vedette à Thomas Solivérès, dans le rôle titre (pourtant fort convaincant). En vieux cabot qui touche enfin le rôle de sa vie (et contribue parfois à le créer), Olivier Gourmet prouve ici, s'il en était besoin, qu'il est un acteur sur lequel on peut monter un grand film.
On ne peut que regretter que "Edmond" n'ait pas séduit plus de spectateurs. En décrivant ce qui se passe de l'autre côté du rideau et en mettant la lumière sur un créateur plutôt que sur sa créature, il optait pour une démarche dynamique et souvent amusante. Il aurait mérité plus de succès, sans l'ombre d'un doute...
Lorsqu'est sorti sur les écrans "L'odeur de la mandarine", nombre de spectateurs sont passés à côté de ce film de Gilles Legrand, qui avait pourtant rencontré un joli succès avec son premier long métrage, "Malabar Princess", avec le regretté Jacques Villeret. En évoquant, en arrière-plan, la fin de la Première Guerre Mondiale et en confrontant ses personnages aux conséquences de cette boucherie, "L'odeur de la mandarine" n'avait pas choisi une époque "vendeuse", à en croire les chiffres du box-office. Alors, avons-nous laissé passer un grand film ?
Été 1918. Il est officier de cavalerie et a laissé une jambe sur le front de cette Grande Guerre qui n'en finit pas. Elle est infirmière et a perdu là-bas son amant et le père de sa petite fille. Dans le grand manoir familial où cet homme estropié vit avec deux domestiques, l'arrivée de cette femme et de sa petite fille va bouleverser le cours des choses. Elle est indomptée et vient pour panser des plaies, mais cette guerre a-t-elle laissé qui que ce soit indemne ?
Certains réalisateurs peuvent obtenir un joli succès, puis ne pas réussir à renouveler Gilles Legrand réalisa un joli petit succès avec son premier film, "Malabar Princess", puis une audience moindre avec ses deux suivants, "La jeune fille et les loups" et "Tu seras mon fils". Son quatrième long métrage est passé totalement à côté de son public, comme je le signalais en introduction.
On pourrait accuser le thème et l'époque choisie, mais ce serait injuste : qu'importe le flacon, dit l'adage populaire, d'autant plus qu'esthétiquement, le flm est plutôt réussi. La photographie, en particulier, met remarquablement en valeur le décor et donne au film une atmosphère souvent froide et humide, parfaitement en phase avec le thème.
C'est plus l'histoire que narre "L'odeur de la mandarine" (dont le titre, bien qu'il soit très beau, n'est pas franchement accrocheur) qui peut s'avérer rebutante pour le public : deux êtres cassés, surtout de l'intérieur, par la Grande Guerre, qui se rencontrent, s'apprécient et se percutent, alors qu'autour d'eux, le monde s'effondre, cela n'est pas forcément du goût du grand public."L'odeur de la mandarine" est souvent austère, vu de l'extérieur, et il faut faire le premier pas et y accompagner ses personnages pour y trouver de la chaleur et de la sensualité.
Les métaphores abondent, comme ce cerf qui n'en finit pas d'apparaître et de de disparaître, aux alentours de cette grande maison pleine de vide, alors que le canon gronde au loin. En cela, "L'odeur de la mandarine" sait se montrer émouvant, même s'il n'est pas exempt de quelques maladresses et balourdises.
On regrettera quelques longueurs inutiles et la façon dont Gilles Legrand appuie parfois sur le symbole, des fois que le spectateur n'aurait pas compris la façon dont s'établissent (ou se dégradent) les rapports entre les personnages.
Du côté des acteurs, c'est essentiellement l'interprétation de Georgia Scalliet, jusque là habituée aux planches des théâtres, qui crève l'écran. Face à elle, l'immense Olivier Gourmet livre une composition remarquable et réussit à nous faire croire en son personnage d'estropié gardant de sa superbe. Dans les seconds rôles, on appréciera la performance de Dimitri Storoge, tout en tension, et celle d'Hélène Vincent, en domestique maternelle. On remarquera au passage les (petits) rôles tenus par Michel Robin (un des "visages" du cinéma français) et de Romain Bouteille. Une fois de plus, les interprètes sont les atouts majeurs du film.
Sur une thématique et dans un décor peu vendeurs, "L'odeur de la mandarine", doté d'une remarquable esthétique et d'une interprétation sans défaut, est sans doute passé à côté de son public. Il aurait mérité mieux.
Sujet sensible, voire tabou, la mort est au centre de quelques longs métrages mémorables. Je songe notamment à "Harold et Maude" ou, plus près de nous, au superbe "Au revoir là haut". En mettant en scène une entreprise de pompes funèbres, "Grand froid" et sa très belle distribution, prenait un risque : traiter de ce que deviennent les corps après leur trépas et de ceux qui en prennent soin n'était pas un sujet facile. Pour son premier film, Gérard Pautonnier a reçu un accueil public un peu frileux, malgré quelques bonnes critiques.
L'entreprise de pompes funèbres d'Edmond Zweck périclite : ses deux employés ne seront pas payés ce mois-ci. Heureusement pour eux, ils se voient chargés d'emmener un défunt vers son dernier domicile, un cimetière perdu au milieu de nulle part. Voilà donc Georges et Eddy partis enterrer un mort, suivis par sa veuve, son frère et un prêtre énergique et impatient. Ils ne sont pas au bout de leurs peine et c'est un drôle de périple qui les attend.
Dès ses premières images, "Grand froid" donne le ton : c'est le froid qui domine (avec un titre pareil, c'est normal) et qui est omniprésent. Dans une bourgade sans doute coincée quelque part entre la Belgique et la Pologne (c'est vous dire l'exotisme), les personnages n'ont pour se tenir chaud que leur chaleur humaine.
C'est la meilleure qui soit.
Que ce soit par ses décors ou sa mise en scène, "Grand froid" impose un style, très rapidement et plonge son spectateur dans une ambiance unique, ou presque. Porté par ses interprètes, le film acquiert rapidement une identité propre, en grande partie grâce à ses personnages, à la fois insolites et terriblement humains. C'est encore une fois grâce à ses acteurs, tous remarquables, qu'il s'agisse de l'indispensable Jean-Pierre Bacri, d'Arthur Dupont, d'Olivier Gourmet ou des seconds rôles, dont Sam Karman ou Wim Willaert, pour ne citer qu'eux.
Cependant, après la mise en place de son univers macabre, Gérard Pautonnier peine à conclure l'affaire. Le scénario de "Grand froid" tourne souvent à vide, et l'humour dont il se réclame ne fonctionne pas toujours, désamorcé par des scènes plus lentes et parfois même dramatiques. On pense aux frères Coen, mais on regrette de ne pas trouver ici l'absurdité ou la causticité qui aurait fait de "Grand froid" une comédie noire et grinçante comme on peut les aimer.
Inégal, faute d'audace, ce premier film de Gérard Pautonnier vaut surtout pour ses acteurs et son esthétique. Il y fait à la fois très froid (à cause de l'ambiance) et chaud (grâce aux personnages). C'est déjà ça.
L'été, il est de coutume d'être moins exigeant : le spectateur peut se laisser aller à voir un film qu'il aurait dédaigné en temps normal. On peut mettre quelques neurones en vacances et choisir de passer du bon temps, sans trop réfléchir. L'autre soir, j'ai laissé ma zappette m'offrir "Go fast", tentative française de thriller . J'étais passé à côté de ce film lors de sa sortie. Alors, pourquoi pas, d'autant plus qu'il entrait dans le cadre de ce blog (à savoir un insuccès, public pour le coup). Mauvais timing aidant, j'ai loupé le générique et n'avais donc pas intégré la présence du logo "Eurocorp" à la production. Si je l'avais vu, j'aurais peut-être pu m'attendre à un traitement plus proche de "36 quai des orfèvres" que de "Taxi".
Marek est policier et lutte avec ses collègues contre le trafic de stupéfiants. Lors d'une opération qui tourne mal, ceux qui travaillent avec lui sont tués sous ses yeux. Peu après, encore marqué par ce drame, Marek est muté dans une nouvelle unité de la police judiciaire : il va devoir infiltrer un réseau de trafiquants, dont la spécialité est le go-fast. A l'aide d'automobiles souvent volées et chargées de dizaines de kilos de cannabis, les bandits remontent à toute vitesse l'autoroute de l'Espagne jusqu'à Paris.
Pour Marek, la mission s'annonce difficile...
En général, lorsqu'une production Eurocorp s'annonce, il est question de flingues et de grosses cylindrées, de préférence des Audi (Luc Besson doit avoir un faible avec cette marque, ça n'est pas possible autrement). Par contre, dans ces films cherchant à tout prix à attirer un maximum de public dans les salles (le public en question étant généralement composé de jeunes mâles que la présence de grosses voitures et de flingues émeut fortement), la vraisemblance est aux abonnés absents. En cela, le début (et l'affiche, du moins dans son tiers inférieur) de "Go Fast" peut étonner : c'est la carte du réalisme qui est brandie, dirait-on, du moins dans les premières séquences. Enfin, cet argument du réalisme ne tient que si l'on est client de cette vision qu'en offre souvent le petit écran, plus particulièrement lorsqu'il est en quête de sensationnalisme et en devient très critiquable.
On peut donc grimacer devant les passages louchant fortement vers le documentaire sur l'entraînement du RAID, tendance M6 du dimanche soir, s'agacer que le réalisateur se sente obligé de jouer des textes incrustés pour aider les spectateurs, et même sourire lors de scènes où les trafiquants expliquent comment ils produisent leur cannabis, dignes de certaines publicités pour du café (j'avoue, j'ai pensé "Il est bon, ton cannabis, El Gringo").
Enfin, quitte à enfoncer le clou : le scénario prend souvent les spectateurs pour des idiots, insistant lourdement pour qu'ils comprennent ce qui se passe. Là où d'autres metteurs en scène auraient fait preuve de finesse, en laissant le public réfléchir un petit peu, Olivier Van Hoofstadt se retrouve réduit à expliquer ce qui se passe. L'exemple le plus flagrant est celui où le héros se retrouve face aux deux meurtriers de ses collègues et fixe l'arme qu'arbore l'un d'entre eux. Non content de faire dire au criminel que c'est l'arme d'un policier qu'il a tué (ce qu'on aurait pu comprendre de façon plus fine), le film nous assène un flash-back où l'on revoit la scène, histoire de bien comprendre d'où vient l'arme (dont ce sera la seule utilité dans le scénario, soit dit en passant).
L'interprétation, pas toujours heureuse, laisse penser que les acteurs ont été peu dirigés et qu'ils font
leur numéro dans leur coin, quitte à livrer des prestations caricaturales : Roshdy Zem fait souvent la gueule, Olivier Gourmet n'a qu'un rôle très anecdotique et la caméra s'attarde souvent (comme par hasard) sur le joli décolleté de Catalina Denis (sans doute pour faire plaisir au public mâle dont je parlais plus haut). Et je vous épargne le personnage inutile d'un agent américain joué par Grégory Gadebois (acteur que j'apprécie pourtant), avec un accent plutôt rigolo.
Se targuant d'un ton réaliste, "Go Fast" laisse cependant songeur : on aimerait savoir que les forces de l'ordre disposent de tels moyens, mais il est permis d'en douter. Le seul budget "automobile" du film aurait sans doute permis à pas mal de cinéastes de mettre en scène des œuvres moins oubliables et, surtout, qui apportent quelque chose au spectateur. Malgré un début prometteur, vite torpillé par le traitement asséné au sujet, "Go Fast" devient vite un énième film avec des voitures et de la violence, genre dont l'intérêt m'échappe.
Il est amusant de constater qu'Olivier Van Hoofstadt met en avant les mêmes personnages sur lesquels il tirait à boulets rouges dans "Dikkenek". En deux films, le réalisateur réussit à lier thèse et antithèse : il y a de quoi être admiratif...ou pas.
Ce film a été vu dans le cadre du Movie Challenge 2017, dans la catégorie "Un film policier/thriller".
La débâcle française face aux armées nazies, en mai 1940, a déjà inspiré les cinéastes. On se souviendra, par exemple du célèbre "Jeux interdits" ou des "Égarés". Le souvenir de cette défaite a été de nouveau évoqué, l'an dernier, par Christian Carion. Malgré des critiques positives, le public n'a pas suivi. Le succès public rencontré par les films précédents du réalisateur (« Une hirondelle a fait le printemps » ou « Joyeux Noël ») n’a donc pas été renouvelé.
Mai 1940 : les armées du Reich ont enfoncé sans mal les défenses françaises, après avoir laminé la Belgique. Des millions de personnes fuient, emportant avec elles ce qu’elles ont pu sauver du désastre annoncé. Plusieurs réfugiés, fuyant les nazis pour différentes raisons, vont voir leurs chemins s’entrecroiser : entre un dissident allemand à la recherche de son fils, un soldat britannique dont le bataillon a été massacré, le maire d’un village qui organise son exode, tous vont traverser ces jours de malheur, qui ne sont pourtant que le prologue à un sanglant conflit.
Le générique de « En mai fais ce qu’il te plait » saisit à la gorge, parce que les images d’archives que Christian Cairon utilise ont un écho très contemporain : les colonnes de réfugiés fuyant la guerre continuent de parcourir les routes d’Europe, aujourd’hui. Sous couvert de film historique, il y aurait eu matière à quelque chose de très actuel et très puissant. En se cantonnant dans l’évocation de quelques destins, le réalisateur choisit délibérément un traitement moins ambitieux et livre finalement un film sans grande envergure. En dehors de quelques séquences (les plus guerrières) qui instaurent un semblant de tension, « En mai fais ce qu’il te plait » est souvent réalisé platement, et même la partition d'Ennio Morricone (excusez du peu) ne suffit pas à faire décoller l'ensemble.
L'autre gros défaut de « En mai fais ce qu’il te plait » réside dans ses personnages, hélas. Bien que l’idée d’aborder cet épisode douloureux sous différents points de vue puisse sembler la meilleure du film, elle est finalement contre-productive, tant les protagonistes suscitent peu d’empathie. Malgré la situation et les épreuves qu’ils traversent, on s’attache peu, voire pas du tout, aux personnages. L’interprétation sans relief ne fait rien pour arranger ce constat. Qu’il s’agisse d’Olivier Gourmet (qui semble, pour une fois, peu convaincu), de Mathilde Seigner (encore une fois à la limite du supportable) ou de Laurent Gerra (évidemment caricatural), dont les piètres prestations ne sont pas contrebalancées par celles de Matthew Rhys et August Brühl, les acteurs desservent le film plus qu’ils ne le servent. La meilleure des interprétations reste cependant celle de la jeune Alice Isaaz, convaincante (malgré son jeune âge) en institutrice de village.
Prisonnier entre un ton frôlant souvent celui de la docu-fiction et une intrigue dont on sent peser l’artificialité, Christian Carion ne réussit pas à emporter son spectateur. C’est dommage car ces jours du mois de mai 1940 auraient mérité meilleur traitement.
Avec une histoire simple, on peut faire un beau film, fût-il petit. Des réalisateurs ont autrefois fait la preuve qu'il n'était pas nécessaire de déployer de grands moyens pour emporter l'adhésion des spectateurs. Avec "La tendresse", Marion Hänsel (essentiellement connue pour son adaptation des "Noces barbares") nous proposait, il y a peu, une de ces histoires simples, à hauteur d'homme et de femme. En ces temps de blockbusters parfois démesurés, pareille entreprise pouvait paraître salutaire. Hélas, ils furent peu à se déplacer en salles pour "La tendresse".
Lorsque leur fils est victime d'un grave accident de ski, Frans et Lise, séparés depuis quinze ans, sont contraints de faire route ensemble de Bruxelles aux Alpes. Dans la station enneigée, ils vont rencontrer les amis de leur fils et la fiancée de celui-ci. Ce couple de divorcés, unis le temps d'un voyage et autour de leur fils blessé va-t-il profiter de l'occasion pour se redécouvrir, s'apprécier, voire s'aimer ?
Comme on le voit au résumé ci-dessus, l'histoire que narre Marion Hänsel dans "La tendresse" est toute simple : je ne vous ai pas menti. Cela dit, cette simplicité n'est jamais transcendée par la réalisation ou par les personnages. Ne tournons pas autour du pot : "La tendresse" n'attire pas l'affection. Ses deux personnages centraux, qui passent une bonne partie de leur temps à faire l'inventaire de ce qui a changé et de ce qui n'a pas changé depuis leur séparation, n'ont qu'un capital de sympathie réduit au minimum. Conséquence immédiate : on ne s'attache pas à eux et l'envie de suivre leur voyage fond comme neige au soleil, dès les premières scènes.
Faute d'un scénario épais, c'est vers les personnages qu'on devrait pouvoir se tourner. Ici, c'est en pure perte. Pour ajouter au ratage, leur interprétation est grandement décevante. La réalisatrice Maryline Canto, particulièrement peu inspirée, incarne Lise, mais sans lui donner la chaleur humaine qu'on aurait pu attendre de pareil rôle. le jeune Adrien Jolivet semble lui aussi peu inspiré (le talent peut sauter une génération, on a vu des précédents). Heureusement, il y a l'excellent Olivier Gourmet, dont le personnage est finalement celui auquel on s'attache le plus, en grande partie parce que son interprétation est, comme souvent, remarquable, bien que son rôle soit (comme la plupart des personnages) assez mal écrit.
Mise à part la présence d'Olivier Gourmet, "La tendresse" ne mérite guère plus qu'un visionnage distrait, avant d'être vite oublié. Ce petit film belge n'est pas de ceux qui font honneur à la prolifique et intéressante moisson d'outre-Quiévrain.
Les tueurs en série, incarnations du Mal absolu, ont de longue date fasciné les cinéastes. De "M le maudit" à "Zodiac", nombre de réalisateurs se sont même emparés de l'histoire véridique de certains de ces monstres, quand d'autres filmaient les méfaits de criminels de fiction. Mais, pour fascinants qu'ils soient, ces personnages n'attirent pas forcément les foules dans les salles obscures. Ce fut le cas de "L'affaire SK1", film français relatant l'enquête et le procès de Guy Georges, le tueur de l'Est parisien.
1991, au 36 quai des Orfèvres : un jeune policier, Franck Magne, entre à la Brigade Criminelle et prend en charge l'assassinat d'une jeune femme, auquel il va vite relier d'autres meurtres restés sans suite. Année après année, se heurtant parfois à l'institution pour laquelle il travaille, Magne va mettre au jour les agissements d'un tueur en série. Tout en traquant le monstre, le jeune homme met en place une des enquêtes les plus complexes que la police française ait connu : c'est l'affaire du tueur de l'Est parisien.
2001 : Guy Georges est jugé et défendu par deux avocats, sous le regard de Magne et des policiers qui l'ont accompagné dans sa traque...
Issu du milieu de la télévision (on lui doit quelques épisodes des "Hommes de l'ombre"), Frédéric Tellier, réalisateur de "L'affaire SK1" livre ici un film qui lui tenait à cœur et auquel il consacra de nombreuses années de travail. Et le résultat est, reconnaissons-le d'emblée, à la hauteur de l'investissement. Convoquant ses illustres aînés (on pensera évidemment à des réalisateurs tels que Corneau, Melville ou Fincher), Tellier, tout en racontant une histoire dont on connait les grands traits et dont la fin n'est un secret pour personne, réussit à captiver le spectateur et à le tenir en haleine du début à la fin. Le mérite en revient à une mise en scène efficace, d'une précision chirurgicale et au ton évoquant souvent le genre documentaire. Utilisant à bon escient les lieux des drames comme décor et allant jusqu'à optimiser le grain de l'image en fonction de l'époque filmée, Frédéric Tellier, remarquablement documenté livre un véritable "Zodiac" à la française.
Face à la caméra, les interprètes de ce voyage dans le pire de ce que peut produire l'âme humaine
livrent une prestation impeccable. Raphaël Personnaz a rarement été aussi bon que dans le rôle de l'Inspecteur Magne, tandis qu'à ses côtés, l'indispensable Olivier Gourmet, à la fois figure paternelle et guide en territoire d'horreur, prouve, s'il en était besoin, l'immense talent qui l'habite.
On pourrait d'ailleurs utiliser les mêmes mots au sujet du grand Michel Vuillermoz. Le reste du casting est à l'avenant, même si j'ai quelques réserves concernant l'interprétation des deux avocats de Guy Georges (incarnés par Nathalie Baye et William Nadylam).
Alors, comment "L'affaire SK1" a-t-il pu passer à côté de son public, pour dire les choses pudiquement ? C'est une bonne question, et j'avoue peiner à y trouver des éléments de réponse. On pourra incriminer l'absence de suspense apparent de l'histoire qui nous est contée, les apparences de documentaire dont se drape parfois le film, mais ce serait lui faire un mauvais procès. Réussissant le délicat exercice d'équilibriste dans lequel bon nombre de réalisateurs auraient échoué, Frédéric Tellier livre ici un remarquable film policier, au réalisme glaçant, qui laisse un souvenir marquant à son public, aussi peu nombreux fût-il.
Rendu célèbre par les clips qu'il réalisa pour Mylène Farmer (pour qui il composa également moult mélodies), Laurent Boutonnat a également mis en scène quelques longs métrages, qui n'eurent pas l'heur de rencontrer autant de succès que les tubes de la chanteuse rousse la plus célèbre de l'hexagone. Qui se souvient de "Giorgino", par exemple ? Son long métrage le plus connu, et aussi le dernier, fut "Jacquou le croquant", oeuvre à la gestation difficile, fresque ambitieuse qui n'atteint pas les sommets auxquels ses producteurs le destinaient.
Il aurait pu vivre heureux dans son Périgord natal, le petit Jacquou, si le destin n'avait pas décidé de son malheur. Ainsi, il vit son père, vétéran des guerres napoléoniennes et pauvre métayer, abattre l'intendant du cruel Comte de Nansac, et être condamné au bagne et être tué en tentant de s'évader, puis sa mère mourir de chagrin. Recueilli par le père Bonal, le jeune homme qu'il devint put mûrir sa vengeance, malgré les obstacles devant lui et devenir le beau et grand Jacquou, meneur des croquants, combattant l'injustice.
Ambitieux, Laurent Boutonnat l'est sans aucun doute. Ses clips l'attestaient déjà, puisque certains étaient scénarisés comme des films et témoignaient de son admiration pour certains grands maîtres du Septième Art (l'ombre du Kubrick de "Barry Lyndon" plane sur plusieurs de ses œuvres). Ses ambitions sont visibles à l'écran, dans les décors (naturels, mais hélas pas ceux du Périgord, et c'est bien dommage, si vous voulez mon avis) et les costumes. Pour ce qui est de l'esthétique, la mission est accomplie : d'ailleurs, le film reçut deux nominations aux César, pour les décors et les costumes, justement.
Il faut constater qu'au chapitre des points positifs, la liste va s'arrêter là. Laurent Boutonnat, à défaut d'avoir pu convaincre Pathé de produire deux longs métrages, aurait du mettre plus de soin à refaire le montage des 2 heures 30 de film. Nombre de scènes trop longues n'apportent rien à l'intrigue, tandis que certaines accélérations du récit laissent au spectateur l'impression qu'il a eu une absence ou un micro-sommeil et raté une scène importante. Du coup, le film a du mal à retenir l'attention du spectateur.
Ce long métrage au rythme décousu, plein de trous, n'est en rien sauvé par son interprétation, assez peu convaincante. Aussi talentueux soient-ils, les acteurs semblent souvent à côté de leur personnage, surjouant souvent (notamment Albert Dupontel, qu'on a connu bien plus inspiré), cabotinant parfois, manquant presque toujours d'inspiration. On se consolera en admirant la prestation, fût-elle caricaturale, du regretté Jocelyn Quivrin.
Cerise sur le gâteau, la bande originale, souvent envahissante, écrase parfois les dialogues déjà peu audibles (ah, la diction de certains comédiens !).
Au final, "Jacquou le croquant" fait l'effet d'un livre empli de belles images, mais auquel il manque une page sur deux. Ça peut être agréable à regarder, mais ça s'arrête là. Ceux qui tiennent absolument à tout connaître des péripéties de Jacquou n'ont plus qu'à se diriger vers la série télévisée d'antan.