Les frontières semblent se fermer, ces temps-ci. Que ce soit en Europe ou de l'autre côté de l'Atlantique, des murs se dressent face à ceux que la misère pousse à tout faire pour une vie meilleure. Naturellement, le cinéma s'empare de cette thématique pour évoquer le sort de ceux qu'on nomme migrants ou réfugiés. Il y a eu, par exemple, le saisissant "Welcome", tout près de nous. Mais c'est fortuitement que j'ai découvert "Droit de passage" (traduction française indigne de "Crossing over"), un film qui avait été snobé à l'époque par pas mal de critiques.
A Los Angeles, les hommes et les femmes se croisent. Venus du Mexique pour tenter de gagner leur vie, résidant ici depuis toujours ou depuis peu, en quête de l'autorisation qui leur assurera la citoyenneté américaine, toutes et tous craignent l'expulsion, parfois arbitraire. Face à eux, l'autorité peut prendre différents visages : il y a de la bienveillance, de la violence, de la corruption. Il y a ce policier qui veut encore croire en l'humanité, quitte à s'abîmer. Il y a ce fonctionnaire corrompu, qui abuse de ses prérogatives. Il y a tant d'hommes et de femmes qui se croisent, aiment, souffrent...
A la vision de ce film, dont on a parfois décrié le côté bancal (que je reconnais) ou les méthodes racoleuses (mais je préfère lui accorder le bénéfice du doute, les critiques étant parfois de mauvaise foi), on peut frémir : le thème qu'il évoque est devenu mondial et nous touche forcément tous, à des degrés et des modes différents. Même si son traitement peut faire douter le spectateur, "Droit de passage" a au moins le mérite d'aborder de front un thème difficile, et de le faire sans adoucir le trait. Sa production problématique, ses maladresses et son entêtement à faire passer le visa américain pour l'ultime sésame en font un film maladroit, dont les bonnes intentions semblent passées au second plan. Wayne Kramer, le réalisateur de cette mosaïque ayant pour thème les frontières entre les hommes, semble parfois dépassé par l'ampleur de la tâche qui lui est attribuée, mais, filmant à hauteur de femme et d'homme, assure jusqu'au bout et livre un film sans doute sincère.
Dans un film choral, ce sont les personnages qui sont le ciment de l'ensemble. Dans le cas présent, les acteurs sont remarquables. L'immense Harrison Ford, en flic bienveillant et humaniste, apparaît fatigué et désabusé, comme l'homme qu'il est l'est sans doute. Ray Liotta, particulièrement botoxé, démontre qu'il aurait pu avoir une carrière digne de ce nom s'il avait fait de meilleurs choix. On pourrait aussi évoquer les prestations, plutôt justes, de Cliff Curtiss (désormais connu comme le héros de la série "Fear the walking dead"), Jim Sturgess, Ashley Judd, Alice Eve, donnant vie à cet instantané parfois juste, parfois pataud. S'il avait été moins balourd (parce qu'il l'est, au point, pour certains critiques, d'être contre-productif), "Droit de passage" aurait été un beau et grand film. A défaut, c'est un regard sur ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique (et qui ressemble fort à ce qui se passe pas si loin de chez nous).
Les Etats-Unis, nation composée à partir d'un beau melting-pot, ont oublié bien vite qu'ils étaient riches de leur diversité. Maladroit, ce film, pour peu qu'on prenne un peu de recul et qu'on ne lui fasse pas de procès d'intention, peut éveiller chez son spectateur une saine colère.
Ce film a été vu dans le cadre du Movie Challenge 2018, pour la catégorie
"Un film qui t'a mis en colère" (par son thème)
Merci pour cette chronique, Laurent. Tout cela me rappelle "Rêves d'or", un vrai film coup-de-point sur les migrations entre l'Amérique du Sud et les États-Unis.
RépondreSupprimerBien sûr, dans le contexte actuel, un tel film est toujours bon à considérer, pour réfléchir un peu sur l'avenir du monde... et le nôtre.
Je note "Rêves d'or" : merci, une nouvelle fois, pour cette orientation (une de plus), Martin !
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