vendredi 26 juin 2020

Nous trois ou rien (2015)


Souvent, les artistes décident de raconter toute ou partie de leur existence. Si l'exercice est devenu un classique en matière de littérature, le Septième Art a vu aussi fleurir quantité de biopics, mais plus rarement d'auto-biographies. Utilisant ses souvenirs d'enfance et, au passage rendant hommage au parcours de ses parents, Kheiron, dont j'avais apprécié "Mauvaises herbes", avait consacré son premier film, "Nous trois ou rien" au parcours de ceux-ci, de l'Iran à la France.  Méconnu, ce film mérite-t-il une deuxième chance ?

Hibat et Fereshteh, deux jeunes Iraniens, s'aiment et militent pour la démocratie, dans l'Iran des années 1970, dirigée par le Shah. Pour avoir défendu ses idées, Hibat passera sept ans en prison, sans pour autant perdre espoir. Quand arrive la révolution, leurs espoirs sont vite douchés : au Shah a succédé l'ayatollah Khomeini et ses mollahs. La mort dans l'âme, Fereshteh et Hibat, jeunes parents, doivent s'exiler : la France sera leur terre d'accueil. Quand ils arrivent en Seine-Saint-Denis, malgré le manque de moyens, ils s'investissent dans la vie de leur quartier. L'énergie continue de les habiter, envers et malgré tout. 

Le parcours d'Hibat et Fereshteh (c'est-à-dire celui des parents du réalisateur) force l'admiration : il est celui d'êtres humains admirables qui gardent foi en l'homme, alors qu'ils auraient tout lieu de baisser les bras et de renoncer en l'espoir. Pour autant, "Nous trois ou rien" n'est pas seulement un bel hommage à deux parents admirables. C'est aussi, et c'est la belle surprise de ce film, une comédie. Malgré le contexte, malgré le drame omniprésent, on sourit souvent, en visionnant "Nous trois ou rien". Alors que l'approche choisie par Kheiron était des plus casse-gueule, a fortiori pour un premier film, il s'avère que cette option fut la bonne, puisqu'elle livre une vraie réussite. 

Il est délicat (et c'est souvent proche de la mission impossible) d'aborder des événements douloureux
et de garder le sourire. C'est néanmoins le choix que fait Kheiron, n'hésitant pas à ponctuer les événements tragiques qui accablèrent l'Iran d'alors par des dialogues souvent piquants. On en mesure d'autant mieux le drame que fut le destin de ce pays, et la force d'âme de certains de ceux qui vécurent ces années de plomb. Ces héros anonymes et leurs compagnons (dont certains eurent une destinée tragique) sont incarnés par des acteurs visiblement heureux d'être devant la caméra de Kheiron et convaincus de la démarche entreprise. Qu'il s'agisse du maître d'oeuvre de l'entreprise (assumant le premier rôle, en plus du scénario et de la mise en scène), de la délicieuse Leïla Bekhti, d'un Gérard Darmon inattendu, pour ne citer que ces trois-là, la distribution donne vie et vigueur à cette comédie dramatique et biographique franchement réussie. 

Humain et sans doute humaniste, le cinéma de Kheiron est de celui qui redonne foi en l'humanité. Si "Nous trois ou rien" pêche par endroits, il est néanmoins une vraie bulle d'air pur dans une atmosphère souvent polluée. A ce titre, il est plus que recommandable. 


dimanche 21 juin 2020

Les Patriotes (1993)


En visionnant la très belle série "Le Bureau des Légendes" (voilà l'occasion de signaler que, oui, il est possible, en France, de créer de vraies bonnes séries télévisées) dont il est le principal architecte, l'envie m'est venue de revoir "Les patriotes" d'Eric Rochant, qui n'avait pas reçu le succès escompté en son temps. Pourtant, dès ce troisième film (après "Un monde sans pitié !" et "Aux yeux du monde"), l'ambition du cinéaste était là : évoquer l'espionnage de façon réaliste, à mille lieues de la vision glamour du célèbre agent anglais par exemple. Pourquoi, en utilisant une matière première assez similaire, "Les patriotes" n'eut-il pas le succès que rencontre la série "Le bureau des légendes" ? Tentons de répondre à cette question.

Jeune Juif français, Ariel décide de quitter Paris pour aller vivre dans un kibboutz, en Israël. Là-bas, il est recruté par le Mossad et apprend à devenir espion. Quand il reviendra en France, ce sera pour deux missions très différentes, mais tout aussi complexes, où les compétences qu'il a pu acquérir seront mises à profit. Son équipe va d'abord devoir convaincre un ingénieur de livrer les plans d'une centrale nucléaire irannienne, puis récupérer un agent américain désireux de changer de camp.

En partie basées sur des faits réels, les deux intrigues contées dans "Les patriotes" annoncent le parti-pris. On est ici dans un film d'espionnage réaliste, où les héros (si tant est qu'on puisse les qualifier ainsi) jouent plus de la manipulation que du Walter PPK. Pas d'explosions en technicolor, ni de grand méchant ayant décidé de conquérir le monde au petit déjeuner dans ce film. Le Mossad, dans ce film plutôt bien documenté, tente de parvenir à ses fins en utilisant des leviers plus intimes. Au final, c'est diablement plus convaincant que n'importe quel épisode des aventures de James Bond, même si "Les patriotes" ne joue évidemment pas dans le même registre. 


Il y a de magnifiques idées de cinéma et une mise en scène qui sait les porter, dans "Les patriotes" et on peut se demander, encore aujourd'hui, pour la belle ambition du film ne fut pas récompensée à l'époque. Quelques éléments de réponse sont sans doute à aller chercher du côté du scénario. Bâti en deux parties, ce dernier ne peut que mettre en évidence le déséquilibre entre ces deux morceaux. Mais le fait est qu'une seule des deux missions auxquelles participe le héros n'aurait pas suffi à remplir un film. C'est là le paradoxe qui valut, je pense, à Eric Rochant d'essuyer pareil insuccès : à choisir entre ne traiter qu'une seule mission de son héros (et en tirer un film plus court, voire trop court) et aborder deux intrigues (quitte à ne les traiter qu'insuffisamment), le réalisateur fit le second de ces choix dont aucun n'était idéal. Enfin, on pourra aussi tiquer sur l'épilogue du film, sorte de happy-end forcé gâchant le réalisme qui tenait le coup jusque là. 


Imparfait et sans doute trop ambitieux pour tenir en un film, "Les patriotes" comporte cependant quelques beaux morceaux qu'on ne vit jamais plus dans le cinéma français. Porté par une distribution épatante (les prestations de la jeune Sandrine Kiberlain, de Jean-François Stévenin et de Bernard Le Coq sont parmi les pépites de ce film), "Les patriotes" passe tout près du grand film qu'il aurait pu être. A défaut, c'est déjà un très bon film, qui augure de l'intérêt de son créateur pour un thème qu'il explorera plus tard de la manière que l'on sait. Si, au grand écran, Eric Rochant ne sut pas convaincre le public en parlant d'espionnage, il eut sa revanche beaucoup plus tard, au petit écran. 
Tout vient à point à qui sait attendre...


mardi 16 juin 2020

J'invente rien (2005)



Ce n'est un secret pour aucun des lecteurs de ce blog : j'aime beaucoup le cinéma de Michel Leclerc. Plusieurs de ses films ont (dommage pour eux) eu droit à une chronique dans ces colonnes, mais souvent avec un regard bienveillant de ma part. Pourtant, il restait l'un de ses longs métrages que je n'avais pas encore vu : "J'invente rien", tout premier opus d'une jolie carrière (cependant pas couronnée du succès mérité, à mes yeux). Quinze après sa sortie, donnons donc un coup de projecteur à ce film, dont Kad Merad (depuis devenu un acteur incontournable du cinéma comique hexagonal) et Elsa Zylberstein partageaient l'affiche. 

Depuis qu'ils se sont rencontrés, Paul et Mathilde s'aiment et entretiennent toute une gamme de petits rituels qui n'appartiennent qu'à eux. Pourtant, Mathilde aimerait bien que Paul se mette à travailler et l'aide dans la vie quotidienne. Malgré ses réticences, le nonchalant Paul décide de se lancer : il sera inventeur ! Il ne lui reste qu'à trouver, sans trop se fatiguer si possible, l'idée qui fera de lui un homme riche et célèbre, que Mathilde continuera d'aimer. 
Ce sera la poignette. 

Pour son premier long métrage, Michel Leclerc, qui ne travaillait pas encore avec Baya Kasmi, à l'époque, marque déjà son territoire. Mélangeant légèreté et gravité, fantaisie et réalisme social, il jette ici les bases d'un cinéma humain et humaniste. Ses personnages sont bourrés de défauts, mais on ne peut s'empêcher de les aimer. A l'instar de ceux qui donneront vie au "Nom des gens" ou à "La lutte des classes", les protagonistes de "J'invente rien", qui pourraient d'ailleurs être des voisins des précédents, ont un paquet de défauts, mais on s'attache à eux parce qu'ils sont comme nous, humains. Quitte à me répéter, nombre de scénaristes et réalisateurs de comédie pourraient en prendre de la graine : l'empathie attire la bienveillance, envers un personnage autant qu'envers un film. 

Ancré dans son décor habituel (Leclerc est un fidèle de Ménilmontant), "J'invente rien", filmé au plus
près de ses personnages, avec une économie de moyens flagrante, n'est pas pour autant exempt de défauts, mais on aura pour eux l'indulgence inhérente aux premières fois. Si quelques scènes donnent parfois l'impression que le scénario fait du sur-place et que d'autres souffrent du manque de moyens dont disposa le film, l'énergie apportée par les interprètes est pour beaucoup dans le charme que dégage "J'invente rien". Pas encore devenu star de comédies populaires (ni éminence grise de série télévisée), Kad Merad est étonnamment convaincant dans le rôle de Paul, enfant refusant de grandir et de se laisser mettre au travail. Face à lui, Elsa Zylberstein montre la meilleure facette de son talent, en incarnant Mathilde, figure à la fois féminine et maternelle. Enfin, on saluera la très jolie prestation de Claude Brasseur, en beau-père baratineur, ou de Liliane Rovère, dont le personnage permet à l'histoire de basculer joliment et de trouver un bel épilogue (mais je n'en dirai pas plus). 

Après ce premier film, couronné de peu de succès, Michel Leclerc mettra en scène "Le nom des gens", son plus gros succès (mérité !) à ce jour. C'est une raison supplémentaire pour jeter un œil à "J'invente rien", coup d'essai précédant le coup de maître. 


jeudi 11 juin 2020

Mister Showman (2006)


Quand le cinéma se penche sur le monde du spectacle et sur ses acteurs, cela peut donner un tableau touchant ou agaçant, glorieux ou pathétique. En produisant "Mister Showman", qui s'inspirait de la fin de carrière de Kreskin, dont il fut l'assistant, le réalisateur Sean Mc Ginly regardait dans le rétroviseur, avec un succès mitigé. Si ce film fut le premier des siens à sortir en salles en France, il eut une audience très limitée, y compris dans son pays d'origine, malgré la présence dans le rôle-titre de John Malkovitch.

Etudiant en droit, Troy Gable décide du jour au lendemain de plaquer ses études, au grand dam de son père. Voulant devenir écrivain, il commence par trouver un travail pour vivre : assistant personnel du grand Buck Howard, mentaliste. Ce dernier, dont la carrière est à son crépuscule, persiste à parcourir les Etats-Unis, dans des salles souvent peu remplies. D'abord réticent, Troy finit par découvrir que ce job pourrait bien changer sa vie, à coup de rencontres et de remises en question.

Le cinéma est plein de ringards magnifiques, de ceux qui continuent à jouer, fût-ce devant des salles vides. Le film "Mister Showman" suit le parcours (ou plutôt la fin du parcours) d'un de ceux-là, qui se glorifie d'être passé dans des shows télévisés (mais c'était il y a longtemps) et prépare son grand come-back. Incarné par John Malkovitch, portant perruque et cabotinant plus que de raison, celui qui fut le grand Buck Howard est de ces étoiles éteintes, comme le show-business, surtout étasunien, en compte des dizaines. C'est d'ailleurs un film très ancré dans la culture populaire des Etats-Unis que ce "Mister Showman", qui écume les petites villes du moindre des cinquante états avec le même enthousiasme. 

Pour accompagner la tournée de ce mentaliste dépassé par son époque, Sean Mc Ginly s'attache à son assistant (personnage très autobiographique), incarné par Colin Hanks (le fils de Tom, coproducteur du film et qui fait quelques apparitions dans le film). Le procédé est classique et permet d'avoir un regard extérieur, mais pas trop, sur l'étoile en déclin incarnée par John Malkovitch. L'idée était bonne, en soi, si elle n'était pas plombée par une réalisation sans ambition (on se croirait dans un téléfilm, la plupart du temps) et si certains personnages n'étaient pas de telles caricatures (je songe notamment à celui incarné par Steve Zahn).  

Il y a pourtant de nombreux points positifs, dans "Mister Showman", dont un générique plein d'énergie (mais vite démenti par le film lui-même), l'interprétation pleine de fraîcheur d'Emily Blunt (mais je suis faible) et les passages émouvants de nombreuses célébrités fanées. Cependant, ces quelques éléments ne suffisent hélas pas à faire un beau film. "Mister Showman" laisse à son spectateur un sentiment d'inaccompli, de léger ratage, à l'image sans doute de la carrière de son personnage principal.




vendredi 5 juin 2020

Paranoïa (2013)



Le monde des affaires est impitoyable et certains films se sont attachés à en décrire les mécanismes destructeurs, dans des thrillers parfois réussis, parfois moins. Dans "Paranoïa", Robert Luketic, réalisateur de "La revanche d'une blonde" ou de "Kiss and kill" s'aventurait dans ce registre, nouveau pour lui. Avec un casting royal, on pouvait penser que ce film attirerait forcément des cohortes de spectateurs. Il n'en fut rien et "Paranoia" sortit en VOD dans bien des pays (dont l'hexagone). Depuis, la plupart des films de Luketic (dont le reboot de "Barbarella") sont restés dans les cartons. Cet échec, sanctionné par le gel d'une carrière de réalisateur, était-il mérité ?

Jeune employé sûr de lui, Adam Cassidy est employé par Wyatt Telecom et est persuadé qu'une grande carrière s'offre à lui. Hélas, il commet une erreur, extrêmement coûteuse pour son employeur. Ce dernier, ne reculant devant rien pour réussir, lui propose alors un marché qu'il ne pourra refuser : en échange de l'indulgence de Nicholas Wyatt, Adam va devoir infiltrer le concurrent de celui-ci, Jock Goddard, qui fut aussi son associé, autrefois. 
N'ayant pas le choix, Adam cède et met le doigt dans un engrenage dont il aura du mal à se sortir indemne. 

Adaptation du ramona de Joseph Finder, "Paranoia" est de ces films dont le héros est, dans un premier temps, soumis à des événements, avant de reprendre le contrôle de sa vie et d'en sortir grandi. Le parcours est classique et ici agrémenté de nombreux retournements. Faux semblants, mensonges et intérêts divergents viennent également enrichir l'intrigue ou la rendre, si le dosage est maladroit, illisible. C'est malheureusement la deuxième option que choisit Luketic, héritant probablement d'un scénario dense et passablement bancal. 

Se perdant dans un décorum où luxe et haute technologie écrasent tout, intrigue et personnages, le film devient vite une vitrine pour produits de luxe et gadgets high-tech. Navigant dans les hautes sphères des affaires, le jeune héros fait souvent preuve d'une naïveté confondante, aidé en cela par un scénario multipliant les invraisemblances et les failles. Oubliant le fond au profit de la forme, Robert Luketic signe ici un pseudo-thriller dont l'intérêt (déjà limité au départ) fond comme neige au soleil. Et ce n'est pas la présence d'énormes stars au casting qui peut sauver le film, au contraire. Qu'il s'agisse de Liam Hemsworth (jamais crédible dans son rôle), du grand Harrison Ford (dont on se demande comment il a pu aller jusqu'à se donner pareil look pour ce film), de Gary Oldman (nous ayant habitués à mieux), d'Amber Heard (dans un rôle plus esthétique qu'autre chose), c'est la perplexité qui règne devant ce film portant les tares des années 90 et les ambitions des années 2000. 

Très vite, on décroche et on perd tout intérêt à visionner "Paranoïa", malgré sa cohorte de stars et ses décors sortis de catalogues haut-de-gamme. Au delà des belles images et d'acteurs qu'on aime d'ordinaire retrouver à l'écran, les producteurs et le réalisateur de ce jouet coûteux ont oublié qu'il faut, accessoirement, raconter une histoire digne d'intérêt au spectateur.