Auréolés de gloire à la sortie de "Matrix", les frères Wachowski n'ont eu de cesse de dérouter. Réalisant, avec des moyens conséquents, deux suites très discutées au film qui les propulsa sur le devant de la scène, ils se firent ensuite producteurs (en chapeautant, notamment, l'adaptation de "V pour Vendetta"), avant de connaître un gros échec commercial avec "Speed Racer", en 2008. L'an dernier, ils offrirent aux spectateurs l'un des films les plus ambitieux de la décennie (coréalisé avec Tom Tykwer, déjà connu pour avoir transposé "Le parfum, histoire d'un meurtrier" à l'écran) : "Cloud Atlas", avec sa cohorte de stars, ses effets spéciaux bluffants, ses décors grandioses et son scénario multi-époques fut, lui aussi, un bide phénoménal.
Six récits, ayant lieu du XIXème au XXXIIème siècle, sont l'objet de "Cloud Atlas". S'y croisent les destinées d'un jeune juriste découvrant l'horreur de l'esclavagisme, d'un compositeur homosexuel et de son mentor tyrannique, d'une journaliste découvrant une machination ourdie par les industriels de l'énergie, d'un éditeur littéraire dépassé par les événements, d'une esclave coréenne au service des consommateurs tous puissants et du taciturne Zachry, membre d'une tribu primitive en proie à ses démons. Il est difficile de se lancer dans un résumé plus complet du film sans en dévoiler trop : sachez cependant que les différentes époques possèdent un lien entre elles et que, si les séquences naviguent allègrement d'une période à l'autre, leur ordre chronologique est révélateur de l'esprit du film et du regard que portent les auteurs sur l'humanité.
Lana (le nouveau prénom de Larry, après son changement de sexe) et Andy Wachowski avaient témoigné d'un grand pessimisme quant au devenir de l'humanité dans "Matrix". L'adaptation du roman "Cloud Atlas" (de David Mitchell) confirme leur vision très sombre, au travers des thèmes que brasse leur dernier film : quelque soit le siècle où ait lieu l'intrigue, les hommes foncent tout droit vers leur propre destruction. Seule survit, à travers le temps, une étincelle d'espoir, portée par l'amour qui peut unir deux êtres. Et, quand cet amour est au service d'une révolte, il peut changer le cours de l'histoire.
Le gros point faible de "Cloud Atlas" est son scénario, à la fois trop complexe et trop simple. En effet,
chacune des histoires qui composent ce gigantesque puzzle est, prise à part, relativement basique, voire simpliste. Qu'il s'agisse de la lutte pour la survie d'une tribu ou du combat d'un vieil homme placé en maison de retraite, ces films dans le film peuvent paraître excessivement simples. C'est leur assemblage, par contre, qui les rend peu lisibles. Faute de mettre plus en avant les liens entre les différentes époques (assurés par la présence des mêmes acteurs et des indices éparpillés ici et là), les metteurs en scène perdent leurs spectateurs en cours de route à plusieurs reprises. L'absence d'un réel ciment rend l'ensemble de l'édifice chancelant et souvent sur le point de s'écrouler. Pour peu que le public ne soit pas décidé à faire l'effort de relier lui-même les différentes pièces du patchwork que forme "Cloud Atlas", le film lui paraîtra confus, voire incompréhensible.
Du côté des atouts de ce film, il faut souligner le fabuleux travail réalisé par les décorateurs, maquilleurs et costumiers. Trimbalé d'une époque à une autre, on est conquis à chaque fois par la crédibilité du voyage. Cela est accentué par la prestation remarquable de l'ensemble du casting : les interprètes sont tous excellents et donnent dans "Cloud Atlas" le meilleur d'eux-mêmes. Parfois méconnaissables sous le maquillage qui les affuble, les acteurs endossent leurs rôles de héros ou de salauds avec un talent qu'on leur ignorait parfois. Enfin, la bande originale, qui fait partie intégrante de l'intrigue, est elle aussi sublime.
Film ambitieux, esthétiquement parfait, "Cloud Atlas" se dégonfle, tel un soufflé sorti trop tôt du four, faute de lisibilité. Voyage à travers les âges dont on sort avec des images inoubliables dans la tête, il est au final à la fois trop confus et trop simpliste pour avoir réellement l'impact souhaité. Lana et Andy Wachowski ont un talent indéniable et une véritable vision des univers qu'ils mettent en scène. Espérons qu'un jour, ils retrouveront la grâce qui fut la leur (notamment sur leur très bon premier film, "Bound"). Leur prochain opus, "Jupiter Ascending", semble cependant confirmer leur goût pour la démesure...