samedi 29 décembre 2012

Je hais les acteurs (1986)


Oublié sous la poussière, au fond du placard des films français, "Je hais les acteurs" est sans doute inconnu de la majorité des lecteurs de ce blog. Et pourtant, ce premier film de Gérard Krawczyk (oui, celui qui commit "Taxi")et produit sous l'égide d'Alain Poiré (à qui l'on doit quelques monuments du cinéma hexagonal) disposait d'un casting à faire pâlir pas mal de producteurs actuels. Pensez donc : s'y bousculaient, sans ordre de préférence, Jean Poiret, Bernard Blier, Michel Blanc, Michel Galabru, Pauline Lafont, et j'en oublie. L'entreprise était ambitieuse et audacieuse, puisque ce film, en noir et blanc (ce n'était donc pas une défaillance de votre navigateur, soyez rassurés !) adaptait un roman de Ben Hecht (l'un des plus prolifiques scénaristes de l'âge d'or des grands studios), en se voulant fidèle au ton unique des grands films hollywoodiens.
A l'arrivée, il faut croire que les cinéphiles ne se sentirent pas interpellés par "Je hais les acteurs", lui réservant un accueil froid et des salles bien peu remplies.  Malgré une nomination au César du meilleur premier film, aujourd'hui, ce film a sombré dans l'oubli, ou presque...


Hollywood, les années quarante : un détective privé enquête sur une série de meurtres et se trouve plongé dans le monde du cinéma, dont il découvre l'envers du décor. Des producteurs sans scrupule, des acteurs à l'ego démesuré, des starlettes écervelées, des réalisateurs psychotiques (le premier qui dit que rien n'a changé depuis gagne la palme du mauvais esprit). 

Soyons clairs : le scénario n'a rien de follement original et ne surprendra guère le public. A défaut de fond, c'est surtout la forme qui est l'intérêt de ce film. Car on est ici, dans l'exercice de style appliqué, d'un côté de la caméra comme de l'autre. pour sa première mise en scène, Krawczyk s'efforce de respecter tous les codes des grands classiques qui bercèrent sans doute sa jeunesse de cinéphile. Alors, certes, tout cela peut laisser froids les cinéphiles actuels, mais il faut reconnaître que, d'un point de vue esthétique, "Je hais les acteurs" tient ses promesses. 

Pour servir cette reconstitution, Krawczyk réussit à convoquer une bonne partie de la fine fleur des acteurs français des années 80. Alors, certes, Patrick Floersheim, qui tient le rôle du détective (et celui de fil conducteur de l'histoire) n'a pas la renommée nécessaire au statut de locomotive qu'il endosse pour ce film. Mais, au cours de sa trajectoire, il croise le ghotta du cinéma hexagonal (j'en ai déjà cité un bon nombre plus haut) : Claude Chabrol, Jean-François Stévenin, Dominique Lavanant, Claire Nadeau, et même Marcel Gotlib se font visiblement plaisir en voyageant dans le temps et l'espace. Et je ne vous parle même pas de ceux qui ne firent dans ce film que des apparitions fugaces ou des participations amicales. Le plus célèbre évadé fiscal du moment, Gérard Depardieu pour le nommer, joue ici un rôle fugace (non crédité, qui plus est).

On s'en rend vite compte au visionnage, ce film est bâti sur un mensonge : Krawczyk et son producteur aiment les acteurs, infiniment, au point de leur offrir avec ce film un sublime terrain de jeu. Il eut fallu, pour que la fête soit réussie, que les scénaristes soient de la partie et épaississent un peu l'intrigue, pour faire de ce film un peu plus qu'une balade dans des décors de stuc et de plâtre. Le spectateur y aurait probablement trouvé son compte. Faute de cela, l'insuccès de cette grosse production plomba sérieusement la carrière de son réalisateur. Gérard Krawczyk réalisa ensuite le très joli "L'été en pente douce" avant de tomber sous la coupe de Besson, pour remplacer Gérard Pirès sur le tournage du premier "Taxi" (le destin est parfois cruel). Nul doute que si "Je hais les acteurs" avait connu plus de succès, sa carrière aurait pris un tout autre tournant. En attendant, les cinéphiles nostalgiques peuvent offrir à ce film une seconde chance...





mercredi 26 décembre 2012

Premium Rush (2012)



On se demande parfois ce qui se passe dans la tête des producteurs. Autant la mode actuelle des remakes, séquelles et reboots tend à m'agacer, autant certains films, vendus pour être extrêmement originaux, ne tiennent pas leurs promesses. Par exemple, "Premium Rush", qui fit un brin de buzz cette année, semblait avoir un petit "plus" qui l'aurait démarqué des autres productions du moment. Une fois visionné, il faut admettre qu'on a l'impression d'avoir été abusé, si vous voulez mon avis.

Wilee est sans doute le plus doué des livreurs à  bicyclette de New York. Rompu à l'exercice du slalom entre les véhicules et les piétons qui encombrent la Grosse Pomme, il voit cependant sa vie en danger lorsqu'il prend en charge un mystérieux pli. Dès lors, un individu dangereux ne va avoir de cesse de le pourchasser, afin de mettre la main sur le fameux colis.

Si l'accumulation de scènes de poursuite suffisait à faire un film, ça se saurait (et, au passage, la pitoyable saga des "Taxi" aurait droit de cité au panthéon du septième art). Sans ossature (c'est-à-dire un scénario solide qui soutient l'ensemble du film), on a bien souvent affaire, dans ce registre, à de multiples séquences sensées déclencher la sécrétion d'adrénaline chez le spectateur, à défaut de faire fonctionner ses neurones. "Premium Rush" souffre de ce défaut majeur, il faut bien le reconnaître. On a beau vouloir être indulgent, l'intrigue qui lui a été greffée fait vraiment figure de prétexte et même les allers-et-retours entre le présent et le passé font figure d'artifices peu efficaces.

A la réalisation, David Koepp, scénariste efficace quoiqu'inégal (on lui doit les scripts de "La guerre des mondes" et du quatrième opus de la saga Indiana Jones), s'avère pourtant un honnête artisan. Lui qui avait précédemment commis le très oubliable "Fenêtre secrète" (après le très bon "Hypnose", qui date tout de même de 1999) nous offre une mise en scène rondement menée, sans verser dans l'excès. Les plans sont rapides, fluides, mais restent lisibles. Les scènes de poursuite, qui forment l'essentiel du film, peuvent donc être suivies sans peine. La bonne idée est d'avoir intégré des plans où l'intinéraire suivi par notre cycliste de héros, comme on peut en obtenir sur un smartphone. 

Pour la forme, donc, il y a peu de reproches à formuler à l'encontre de ce film. C'est, comme je le disais plus haut, le fond qui pêche. Regarder un coursier tracer sa route dans New York encombré, cela va bien quelques minutes, mais cela ne fait définitivement pas un film.

Côté interprétation, hormis Joseph Gordon-Lewitt (l'acteur qui monte, depuis "500 jours ensemble", "Inception", "The Dark Knight Rises" et "Looper"), les seconds rôles sont assez médiocrement joués. Par exemple, Michael Shannon (vu dans la série "Broadwalk Empire", et prochainement dans le "Man of Steel" de Zack Snyder), en méchant de service, en fait trop et devient vite peu crédible.

Comme le dit, à un moment du film, le policier à vélo qui poursuit (lui aussi, décidément) le héros, on a envie de dire "Tu sais quoi ? J'en ai marre", avant d'abandonner la course. 

Au final, "Premium Rush" s'il tend à vous dégouter de faire du vélo en ville (a fortiori à New York), n'apporte rien au spectateur, tant son scénario est maigre. Le visionnage doit en être réservé aux admirateurs de Joseph Gordon-Lewitt (et surtout à ses admiratrices, j'imagine).






dimanche 23 décembre 2012

Secrets de famille (2005)


Une fois de plus, je vais commencer ce billet en pestant contre la traduction française du titre du film. En effet, en franchissant la Manche, "Keeping Mum" (dont on notera la subtilité, au vu de l'intrigue) est devenu "Secrets de famille" (tout à fait le genre de titre passe-partout à peine digne d'un roman de Marc Lévy et ne signifiant rien). Ca n'est peut-être qu'un détail, mais ça augure du peu de soin apporté à la distribution d'un film dans l'Hexagone. Examinons ce film de plus près afin de savoir s'il faut ou non se fier à son emballage.

Dans la paisible bourgade de Little Wallop, le révérend Goodfellow, tout occupé qu'il est à rédiger ses sermons, ne s'est pas rendu compte que sa femme était sur le point de céder aux avances (pourtant bien lourdingues) de son professeur de golf, ni que sa fille aînée changeait de petit ami à un rythme affolant, ni que son jeune fils était le souffre-douleur de ses camarades d'école. C'est sans compter l'arrivée d'une nouvelle gouvernante, Grace, sous le toit des Goodfellow.

Il y a peu de suspense et de surprises, dans ce petit film britannique vendu comme une comédie noire. D'ailleurs, si c'est un film amusant, il ne faut pas exagérer : on ne s'aventure que très peu sur le territoire du politiquement incorrect. "Secrets de famille" reste très moral, voire moralisateur, si l'on y réfléchit bien, et est en cela à mille lieues de films où règne l'humour noir, britannique de surcroît. Réalisé par Niall Johnson, surtout connu pour avoir scénarisé "La voix des morts", ce long métrage est mis en scène de la façon la plus académique qui soit, sans plans audacieux ni effets surprenants. Pour le politiquement incorrect, on repassera, donc.

Les acteurs, en tout cas, semblent bien s'amuser : Patrick Swayze (dans un de ses derniers rôles) se moque de son image avec un plaisir évident, tandis que la délicieuse Kristin Scott-Thomas fait une nouvelle fois la démonstration de son talent, face à la grande Maggie Smith (le professeur McGonagall de la saga "Harry Potter", vue aussi dans "Indian Palace", dont je disais le plus grand bien dans ces colonnes) et à Rowan Atkinson, en pasteur distrait (ceux qui l'attendent dans un rôle de farfelu digne de Mister Bean en seront donc pour leurs frais). Notons au passage que ce n'est pas la première fois qu'il incarne un prêtre un peu original : ceux qui ont vu "Quatre mariages et un enterrement" (où il croisait déjà Kristin Scott-Thomas) se souviennent de son apparition.

On s'attend, en commençant le visionnage de "Secrets de famille", à une comédie acide et noire, digne des classiques du genre (je songe à "Arsenic et vieilles dentelles", "Buffet Froid" ou, plus récemment "L'ultime souper"(1)). Il faut avouer qu'on en est loin et qu'on ne s'aventure ici que dans les tons gris.

Un scénario un peu plus solide aurait été salutaire à "Secrets de famille". Le manque d'épaisseur du script lui fait grandement défaut : tout au long de ce film sympathique mais dispensable, on espère qu'il se passe quelque chose, qu'une intrigue majeure surgisse et nous surprenne.
Il n'en est rien, hélas.
Au final, si l'on passe un moment agréable en la compagnie des Goodfellow, il faut reconnaître qu'on les quitte sans regret.




(1) : Ce film mériterait d'ailleurs un petit billet en ces colonnes...

mardi 18 décembre 2012

Los Angeles 2013 (1996)



Pour les amateurs de cinéma de science-fiction, John Carpenter, l'un des derniers artisans indépendants de ce créneau phagocyté par les grands studios, est un mythe vivant. Auteur de nombreux grands classiques du  cinéma de genre (on citera, en vrac, "The Thing", "Christine", "Halloween") le bonhomme n'a jamais cependant reçu dans son pays d'origine la reconnaissance qu'il a en France, par exemple. "New York 1997", sorti en 1981, mettait pour la première fois en scène Snake Plissken, interprété par Kurt Russell, lui aussi rangé dans la catégorie des irréductibles indépendants du septième art, des fortes têtes du cinéma américain. 

En 1995, alors qu'ils finalisaient la sortie DVD de leur "New York 1997", Carpenter et Russell décidèrent d'y donner une suite. Réussissant par on ne sait quel miracle à obtenir des pontes de la Paramount un budget plus que confortable (50 millions de dollars) pour tourner ce qui est plus un remake qu'une suite, il faut bien l'avouer. Malheureusement, le film ne connaîtra pas le succès attendu par ses producteurs et Carpenter renoncera à tourner un troisième opus des aventures de Plissken (ce qui n'est sans doute pas plus mal) et devra oublier les budgets pharaoniques pour retourner à ce qu'il maîtrise le mieux.

Depuis son sauvetage réussi du président américain (dans "New York 1997"), Snake Plissken a disparu de la surface de la Terre. Pendant ce temps, les Etats-Unis sont passé sous la dictature d'un président ultra-conservateur. Tous ceux qui n'entrent pas dans le moule très étroit de la normalité sont déportés vers Los Angeles, séparé du continent depuis que le "Big One", le séisme tant redouté, a dévasté la Californie. Seulement, voilà : la fille du président, en opposition totale avec son fasciste de père, a décidé de filer rejoindre le leader des guerilleros de Los Angeles, sorte de Che Guevara post-apocalyptique, emportant avec elle la clé d'une arme menaçant la planète toute entière. Un seul homme au monde peut récupérer cette boîte noire : le plus "bad-ass" de tous les héros, j'ai nommé Snake Plissken.

Cette nouvelle aventure d'un des anti-héros les plus célèbres du cinéma fantastique reprend, grosso modo, le schéma du premier opus, en les mettant à la mode de l'époque, tant bien que mal. Alors, oui, les effets spéciaux sont assez ratés, il faut l'avouer tout de suite, même pour l'époque (rappelons que Spielberg a sorti peu de temps avant "Jurassic Park", qui redéfinit pas mal de standards en matière d'images de synthèse). Il faut dire que la société chargée des effets spéciaux coula avant d'avoir pu finir le travail : ceci explique sans doute cela.
De même, les seconds rôles sont bien pâles en comparaison du premier opus des aventures de Snake. Stacy Keach n'a pas le charisme de Lee Van Cleef, et Cliff Robertson, sans être mauvais, n'est pas Donald Pleasance. De même George Corraface n'arrive pas à la cheville d'Isaac Hayes et même Steve Buscemi est assez agaçant dans le rôle du perpétuel traître.

A la caméra, le vétéran Carpenter assure, une nouvelle fois, et réussit cependant à faire passer son message dans quelques scènes marquantes : s'en prenant à Hollywood et son industrie (de la vanité des studios à la dictature de l'apparence et du politiquement correct), puis à l'Amérique toute entière (le Président du film ferait passer Mitt Romney pour un dangereux libertaire) et enfin à la civilisation entière. La scène finale est sans doute la plus délectable de toutes. Ecrite par Russell lui-même, elle est suffisamment culottée pour justifier le visionnage du film, d'ailleurs.

Au final, l'impression générale qui ressort de "Los Angeles 2013" est que John Carpenter et Kurt Russell ont joué un joli tour à la Paramount, et à Hollywood en général. Se faisant confier les clés du plus grand magasin de jouets de la planète, tous deux s'éclatent à y rejouer "New York 1997" et à donner de grands coups de tatanes dans la jolie vitrine d'Hollywood, ce qui reste assez délectable, reconnaissons-le.

En ciblant un peu mieux leur scénario, et en évitant l'escalade (parce Snake a droit à des poursuites en voiture, en moto, à un coup de surf en plein tsunami et un petit voyage en deltaplane, ce qui fait tout même beaucoup pour un seul homme, vous en conviendrez), Carpenter et Russell auraient pu réussir parfaitement leur coup et secouer Hollywood avec un film digne de rester dans les mémoires. Un cran en-dessous de son illustre prédécesseur, "Los Angeles 2013" ne vaut pas l'original.
Nostalgie, quand tu nous tiens...



vendredi 14 décembre 2012

Le convoyeur (2004)



Cofondateur de la mythique revue "Starfix", Nicolas Boukhrief a un jour décidé de franchir le pas et de passer derrière la caméra, en passionné du cinéma qu'il est. Après "Va mourire" et "Le plaisir (et ses petits tracas)", son troisième film fut "Le convoyeur", sorti en 2004. A peine rentabilisé en salles, ce film est régulièrement rediffusé, souvent relégué dans les tranches les plus ingrates de la TNT. Méritait-il pareil traitement ? Je n'irai pas par quatre chemins : la réponse est non, "Le convoyeur" aurait du déplacer les foules, lors de sa sortie.

Le héros du film est le mystérieux Alexandre Demarre, qui se fait embaucher au sein de la compagnie La Vigilante, spécialisée dans le transport de fonds, et récemment cible de plusieurs braquages particulièrement meurtriers. Découvrant à la fois des conditions de travail difficiles et des collègues hauts en couleur, Alexandre semble avoir un but secret et attise les curiosités de ses collègues et de ceux qui l'entourent, d'autant plus que La Vigilante est sur le point d'être rachetée.  

On est clairement dans le film dit "de genre", avec "Le convoyeur", et c'est parfaitement assumé par toute l'équipe du film. Passionné de cinéma, Nicolas Boukhrief maîtrise sans peine l'art du récit et réussit à tenir son spectateur en haleine du début du film à son dénouement. Introduisant son histoire par une scène brutale instillant le danger auquel sont exposés les convoyeurs, Boukhrief maintient jusqu'au dernier plan une tension qui met les nerfs du spectateur à rude épreuve. Et si les motivations du héros sont éclaircies aux deux-tiers du film, c'est pour permettre au scénario d'aller jusqu'à son terme, sans concession, avec une efficacité rarement atteinte dans le cinéma français. A plusieurs reprises, dans le film, on songe à Michael Mann ou à Martin Scorcese, par exemple. Mais l'ombre du cinéma social "à l'anglaise" plane aussi sur "Le convoyeur", notamment lors des scènes se déroulant dans les locaux de La Vigilante. Filmant alors à hauteur d'homme, Boukhrief donne de l'épaisseur à ses protagonistes, quitte (parfois) à frôler la caricature.

Pour donner vie à son histoire, Nicolas Boukhrief s'est entouré d'un casting redoutable. Albert Dupontel, décidément trop rare dans le cinéma français, prouve qu'il est un acteur immense en endossant un rôle tout en tension, avare de mots, mais pas inexpressif pour autant. Face à lui, Jean Dujardin, encore aux balbutiements de sa carrière, excelle dans un rôle plus complexe qu'il n'y parait. Et il en est de même pour tout le reste de la distribution, François Berléand et Claude Perron en tête. 

Magistralement interprété par un casting hors pair, techniquement remarquable, "Le convoyeur", tentative d'incursion dans le cinéma de genre, aurait mérité plus de succès à sa sortie. Ce n'est pas un film parfait, loin s'en faut (le final n'est pas exempt de tout reproche, sur le fond, comme sur la forme), mais il vaut amplement une deuxième séance...



dimanche 9 décembre 2012

16 Blocs (2006)



Le thème du flic usé et fatigué, qui doute et dont on doute, a déjà été maintes fois exploité au cinéma. On pourra évoquer, dans des registres très différents"Copland" ou "36 Quai des Orfèvres". Ces films évoquent bien souvent le registre de l'honneur et de la droiture, face à l'adversité, la corruption : bref, le bien contre le mal (une fois de plus). "16 Blocs" donne à Bruce Willis l'occasion d'enfiler le costume du dernier rempart de la Loi, et aussi d'assumer son âge et son statut de vedette vieillissante. 


Alors qu'il n'aspire qu'à un repos bien mérité, l'inspecteur Mosley se voit confier une dernière mission. Il doit escorter Eddie Bunker jusqu'au Palais de Justice, à seize pâtés de maison de là. Seulement, le trajet va être rendu compliqué par les nombreux ennemis de Bunker, dont les plus acharnés sont des collègues de Mosley.

Aux manettes de ce film, on retrouve le vétéran Richard Donner, à qui l'on doit la série "L'arme fatale", ainsi que les premiers "Superman" de feu Christopher Reeve, mais aussi "Les Goonies", "Complots" ou "Prisonniers du temps" : une filmographie très hétéroclite, où blockbusters côtoient des films plus moyens. Tout juste rentabilisé, "16 Blocs" vint une nouvelle fois faire vaciller le statut de Bruce Willis. L'acteur vedette des années 90, porté au panthéon grâce à "Die Hard" et ayant pourtant réussi un virage subtil avec "Sixième sens" et "Incassable", n'est plus aussi bankable qu'il le fut.


A revoir ce film, on comprend vite pourquoi il n'a pas reçu l'accueil que ses producteurs attendaient pour lui. Si l'interprétation est plutôt solide (on a le plaisir d'y retrouver l’excellent David Morse, par exemple, tandis que Mos Def est vite insupportable), que la mise en scène est efficace, il est aisé de mettre le doigt sur ce qui pêche dans ce film : il s'agit du scénario, bigrement banal. En effet, une fois posé le postulat de base (le flic intègre, mais fatigué, doit aller jusqu'au bout pour mener à bien sa mission), il n'y a plus guère de surprises à attendre de "16 Blocs". Louchant de temps à autre vers le buddy-movie, le film est une succession  de moments honorables et de longueurs. 

Réalisé sans ferveur ni fièvre, dépourvu de surprises, "16 Blocs" n'a finalement eu que ce qu'il méritait : un accueil moyen, pour un film qui l'est tout autant. Il peut tout au plus remplir la case du "film du dimanche soir" (cette soirée où l'on est souvent moins regardant sur la qualité de ce que l'on visionne), mais est vite oublié.



mardi 4 décembre 2012

Le Dahlia noir (2006)


S'il est un exercice particulièrement délicat, en matière de cinéma, c'est bien celui de l'adaptation fidèle d'un roman. Si le roman en question est l'oeuvre du bouillant James Ellroy, pape du polar noir, le niveau de difficulté est rehaussé d'un cran, tant l'oeuvre est riche d'intrigues, des tourments et turpitudes qui assaillent les héros, qu'ils soient flics ou gangsters. 

Quand Curtis Hanson se frotta à l'adaptation de "L.A. Confidential", deuxième opus du Quatuor de Los Angeles(1), le succès, tant public que critique, fut au rendez-vous. Il faut dire que James Ellroy lui-même avait participé à la transposition de son roman à l'écran, et que le réalisateur était servi par une pléiade d'acteurs remarquables (de Kevin Spacey à Guy Pearce, en passant par Danny de Vito). Il faut aussi se souvenir que cette adaptation avait pris le parti de trancher dans le vif de l'épais roman, pour n'en garder qu'une partie, évitant ainsi de perdre le spectateur dans les nombreux fils narratifs tissés par Ellroy. Enfin, la réalisation de Curtis Hanson, sans rien avoir de révolutionnaire, sut se mettre au service de l'histoire et de ses personnages.

On aurait donc pu penser que le passage sur grand écran du "Dahlia Noir", qui précède "L.A. Confidential" dans la chronologie des romans, qui plus est menée par le grand Brian de Palma, allait être un grand film. Il n'en fut rien : à sa sortie, le miracle, hélas, ne se répéta pas.

Difficile de résumer l'histoire du "Dahlia Noir", qui mêle en partie les faits d'époque (le meurtre sauvage, en 1947, d'une jeune femme, Elizabeth Ann Short, jamais résolu) et personnages de fiction lancés à la poursuite de l'assassin. Les rivalités entre les deux détectives chargés de l'enquête, tant professionnelles que sentimentales, leur fascination pour Elizabeth (et pour les femmes en général) viendront se mêler à l'enquête, déjà particulièrement épineuse.
Le roman d'Ellroy est tout à la fois un polar noir et un exorcisme pour son auteur. Jamais remis de la mort de sa mère (dont l'assassin ne fut jamais appréhendé), James Ellroy a introduit de nombreux éléments de son histoire personnelle pour construire "Le Dahlia Noir". Je conseille d'ailleurs aux amateurs de roman noir la lecture de "Ma part d'ombre", où il relate l'enquête qu'il entreprit sur le meurtre de sa mère, des décennies après les faits.

Même avec Brian de Palma (qui compte à son actif quelques oeuvres majeures du septième art) aux commandes, "Le Dahlia Noir" fut un échec critique et commercial. Il faut dire qu'on peine à retrouver à l'écran le punch du réalisateur de "Snake Eyes" ou "Body Double". Embourbé dans la reconstitution du Los Angeles de la fin des années 1940, Brian de Palma ne réussit jamais, malgré le talent qu'on lui connait, à donner vie à son histoire. Il faut dire que l'intrigue est relativement complexe et embrouillée, multipliant les allers-et-retours, et finissant par perdre son auditoire.

L'interprétation est pour beaucoup dans le naufrage (de luxe) : Josh Hartnett semble se demander ce qu'il fait là et n'est à aucun moment habité comme le sont les personnages d'Ellroy. Aaron Eckhart (le Harvey Dent de "The Dark Knight") est à peine meilleur et assure juste le minimum syndical.
Scarlett Johansson a beau être ravissante, elle ne déploie pas ici le talent nécessaire à l'interprétation de son rôle. Quant à Hilary Swank, pourtant détentrice de deux Oscar, elle semble s'ennuyer ferme et (surtout) ne pas croire en son personnage. Là où les protagonistes de "L.A. Confidential" semblaient crever l'écran, ceux du "Dahlia noir" font pâle figure, il faut bien le reconnaître.

Comme je le disais en introduction de ce billet, l'adaptation d'un roman est un exercice bien délicat, surtout lorsqu'il s'agit d'une oeuvre aussi dense que peut l'être un roman d'Ellroy. S'il n'y a pas de recette permettant à coup sûr de réussir, la preuve est faite avec "L.A. Confidential" et "Le Dahlia Noir" qu'une transposition ne fait pas l'autre. Si, un jour, d'autres romans de James Ellroy doivent(2) subir le passage au grand écran, espérons que ces adaptations seront plus réussies que ce "Dahlia Noir" très oubliable. 





(1) La série de quatre romans formée par (dans l'ordre chronologique) "Le Dahlia Noir", "L.A. Confidential", "Le grand nulle part" et "White Jazz".
(2) Pour être exact, un autre roman d'Ellroy a fait l'objet d'une adaptation à l'écran : il s'agit de "Lune sanglante" (premier volet de la trilogie Lloyd Hopkins), adapté en 1988  par James B. Harris, sous le titre peu éloquent "Cop", avec le grand  James Woods dans le rôle principal. Ce film mériterait d'ailleurs un billet sur ce blog...

jeudi 29 novembre 2012

Le Bâtard de Dieu (1993)


Une nouvelle fois, j'exhume pour ce billet une rareté que bon nombre d'entre vous n'auront jamais entendu parler. "Justinien Trouvé, ou le Bâtard de Dieu" (l'adaptation du roman "Dieu et nous seuls pouvons" de Michel Folco), sorti en 1993, est en effet le seul film réalisé par Christian Fechner (1944-2008), producteur français qui fit son succès avec les films de la bande du Splendid ou des Charlots. Avec moins de 400 000 entrées en France, ce long métrage fut un échec cuisant pour son réalisateur, scénariste et producteur. Il avait pourtant maints atouts en sa faveur.

Ce film narre le destin hors du commun de Justinien, enfant abandonné (après qu'on lui ait arraché le nez), et de sa recherche de ses origines. Il croisera maints personnages hauts en couleur lors de cette quête, avant de découvrir le secret de sa naissance.
Je n'en dirai pas plus sur ce qui attend les protagonistes du film, qui évolue entre fresque historique, roman picaresque et quête initiatique. On est ici en présence d'un film "en costumes", clairement, mais aussi d'une histoire riche en personnages, voire en "affreux, sales et méchants", incarnés avec délectation par des comédiens talentueux...

A son honneur, Fechner ne commit pas l'erreur de convoquer pour ce film les stars françaises de l'époque, ce qui aurait pu porter préjudice au film. Ainsi, nombre de grands comédiens sont au casting du "Bâtard de Dieu". Le premier rôle est tenu par un acteur méconnu, Pierre-Olivier Mornas (qui s'acquitte très bien de la tâche qui lui est dévolue), mais nombre de grands comédiens viennent apporter leur pierre à l'édifice. On citera les très talentueux Roland Blanche (qui notamment droit à une scène hallucinante où il décrit son infernale spirale criminelle), Bernard Haller, Bernard-Pierre Donnadieu, Ticky Holgado, Chick Ortegga, Maurice Barrier, par exemple.
Pour qui aime les acteurs et les "gueules", ce film est indéniablement une réussite.

Le plus gros bémol qu'on pourrait opposer au film reste son intrigue, finalement assez mince : on a tôt fait de comprendre d'où vient Justinien Trouvé. La quête de ses origines est surtout le prétexte à un voyage à travers de sublimes décors, dans une ambiance faite de crasse et des pires penchants humains, à une époque sans foi ni loi (ou si peu). Si la mise en scène de Fechner n'a rien de révolutionnaire, elle reste efficace et permet de suivre le périple du jeune homme sans engendrer le moindre ennui. 

Alors, certes, le métier de réalisateur et de scénariste ne s'improvise pas et on ne change pas de casquette sans quelques difficultés, mais ce "Bâtard" là réserve tout de même quelques belles séquences à son public. Il est fort étonnant qu'en son temps, il n'ait pas déplacé les foules. Certes, il n'était pas porté par une grosse star (mais cela lui aurait nui), n'abordait pas une histoire "classique", et s'attaquait au créneau difficile du film historique, mais rien ne prédisposait "Le Bâtard de Dieu" à un tel insuccès. 
Si d'aventure, l'occasion vous est donnée de le visionner, je vous engage à lui offrir une deuxième chance...






lundi 26 novembre 2012

Le secret de la pyramide (1985)


Un récent et excellent article sur la carrière de Steven Spielberg m'a incité à rédiger ce billet sur un film à mes yeux méconnu. Dans les années 80, Spielberg, après avoir accumulé les blockbusters (citons en vrac "Les dents de la mer", "Rencontres du troisième type", "Les aventuriers de l'arche perdue" et "E.T."), se lance dans le métier de producteur. Parmi les oeuvres sorties sous son égide, nombreuses seront celles qui rencontreront le succès public, comme "Retour vers le futur" ou "Gremlins". D'autres ont moins laissé de traces dans la mémoire collective et ne furent pas les triomphes qu'on attendait d'elles. "Le secret de la pyramide" (notons une nouvelle fois la médiocrité de la traduction française, le titre original étant "Young Sherlock Holmes", ô combien plus explicite !) est de ces films qui ne marquèrent pas le public à leur sortie et sont aujourd'hui oubliés (sauf des cinéphiles les plus avertis).

Londres, 1870 : le jeune John Watson fait sa rentrée à la Brompton Academy et y rencontre un élève particulièrement intrigant. Ce dernier, un certain Sherlock Holmes, est doté d'un brillant esprit de déduction. Les deux garçons vont sympathiser et bientôt se retrouver au centre d'une étrange affaire.
J'avoue tout de suite : mon avis est  peut-être partial, tant je suis client des aventures de Sherlock Holmes. Et si le scénario de ce film fait quelques entorses au "mythe" (notamment la rencontre entre Holmes et Watson), il faut reconnaître qu'il est bien agréable de se plonger dans ce qui pourrait être l'enfance du "consulting detective".

Au scénario, Chris Colombus (qui se fera connaître avec "Maman, j'ai raté l'avion" puis, beaucoup plus tard, avec le premier volet de la franchise "Harry Potter") nous épargne sur ce film le ton enfantin qu'il infligera plus tard aux films qu'il réalisera, au profit d'un script qui lorgne fortement vers l'aventure façon Indiana Jones, sans cependant omettre de glisser ça et là quelques pierres fondatrices (la pipe, le pardessus et le deerstalker sont introduits pour le plus grand plaisir des fans). Certes, l'histoire s'adresse avant tout aux adolescents plutôt qu'aux adultes, mais c'est avec un plaisir non feint qu'on suit les premières aventures du célèbre duo.
La réalisation est honnête, se mettant au service de l'histoire sans s'aventurer dans des audaces inutiles. Il faut dire qu'aux manettes se trouve le vétéran Barry Levinson (à qui l'on doit également "Rain man" et "Good morning Viet-Nâm" qu'il réalisera plus tard).
Quant à l'interprétation, elle est remarquable. Les jeunes Nicholas Rowe et Alan Cox, s'ils n'eurent pas par la suite la brillante carrière espérée, s'acquittent fort honorablement des rôles plutôt lourds qui leur sont confiés.

Pour la petite histoire, ce film est le premier à inclure un personnage conçu totalement en images de synthèse, réalisé à l'époque par Industrial Lignt and Magic (la division "effets spéciaux" de Lucasfilm) et, précisément, par un certain John Lasseter (qui fondera par la suite Pixar). Ce plan vaudra au film une nomination pour l'Oscar des meilleurs effets visuels.

L'échec de ce film reste déconcertant, au final, tant il est pétri de qualités pas forcément présentes dans d'autres grands succès de l'époque (non, je ne citerais pas de noms !). A défaut, j'incriminerais l'air du temps : Sherlock Holmes n'était pas encore "à la mode", à cette époque, sans doute. Les deux films de Guy Ritchie, pourtant bien plus discutables sur le fond et la forme, ont connu récemment un étonnant succès que mériterait, même a posteriori, "Le secret de la pyramide". A ce titre, je vous engage à revisionner ce film, si l'occasion vous en est donné.






vendredi 23 novembre 2012

Micmacs à Tire-Larigot (2009)


Depuis "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain" et son triomphe inattendu, Jean-Pierre Jeunet n'a jamais pu renouveler le miracle consistant à rallier à la fois le public et la critique (ou la majorité de celle-ci). Son film suivant, "Un long dimanche de fiancailles", malgré toutes ses qualités, n'a pas déchaîné les passions autant que l'on pouvait s'y attendre. Son film suivant ne fit que confirmer la tendance. Je n'ai pas fait de calculs de rentabilité pour ce film, mais une chose est sûre : les tickets d'entrée pour "Micmacs à Tire-Larigot" se vendirent moins que ce qu'en espéraient ses producteurs. 


Le héros de "Micmacs à Tire-Larigot", Bazil, a vu sa vie détruite par les armes. Son père a perdu la vie lors d'un travail de déminage, et lui-même a reçu une balle dans la tête. Après avoir perdu son travail, il est recueilli par une bande d'hurluberlus qui vont l'aider à prendre sa revanche sur les fabricants d'armes qui lui firent tant de mal.

On l'aura compris à la lecture de ce court résumé, ce film est extrêmement manichéen. Les gentils sont les habitants de "Tire-Larigot", galerie de personnages tous plus typiques et barrés les uns que les autres. Les méchants sont les marchands d'armes, évidemment. Sous couvert de fantaisie burlesque, Jean-Pierre Jeunet aborde à sa façon les thèmes de l'armement (comme le fit le plus sérieusement du monde Andrew Niccol avec "Lord of War"), mais aussi de la célèbre "fracture sociale". En effet, ceux qui viennent en aide à Bazil vivent dans la précarité, se débrouillant tant bien que mal pour survivre tandis que les nantis évoluent dans le luxe.

C'est malheureusement le traitement de l'histoire qui nuit au film. Choisissant délibérement d'en faire une fable, voire une farce, Jean-Pierre Jeunet ne fait ici que raconter une énième fois comment les bons finissent par l'emporter sur les méchants, sans pousser le spectateur à réfléchir. On a affaire là à un pur film de divertissement, alors qu'il y aurait eu matière à un peu plus.

Alors, certes, ce parti pris fut revendiqué par l'équipe du film, mais il eut fallu (à mon humble avis) épaissir un peu le tout pour en faire une comédie consistante. Le scénario est en effet bien maigre et les seules surprises qu'il réserve au spectateur sont visuelles plutôt que narratives. 

Au chapitre des points positifs à porter au crédit de "Micmacs à Tire-larigot", il y a avant tout l'esthétique du film. Encore une fois, comme il le fit depuis le formidable "Delicatessen", Jean-Pierre Jeunet impose sa marque de fabrique, qu'il s'agisse des décors, des cadrages ou de la photographie. N'en déplaise à ses détracteurs, ce metteur en scène possède une "patte" qui lui est propre et, si l'on peut s'agacer du filtre jaunâtre qu'il utilise systématiquement, il faut bien reconnaître qu'il est sacrément doué.

L'interprétation est également remarquable. Tous les interprètes, qu'ils soient familiers de l'univers de Jeunet (comme Dominique Pinon ou André Dussolier) ou nouveaux dans cette sphère (à l'instar de Dany Boon ou de Jean-Pierre Marielle) prennent un plaisir visible à jouer les branquignols. 
Cet enthousiasme est communicatif : dans son fauteuil, le spectateur sourit, et rit parfois. Mais, au sortir de la projection, il ne reste pas grand-chose du film, hormis quelques plans amusants.

"Micmacs à Tire-Larigot" est enthousiasmant sur la forme, mais terriblement vide quant au fond. En lui donnant plus d'épaisseur, Jean-Pierre Jeunet aurait sans doute pu en faire un film plus mémorable. Il s'agit là d'une oeuvre mineure dans la carrière de son réalisateur, bien qu'on l'ait vendu comme un blockbuster. 

Gageons que le prochain film de Jean-Pierre Jeunet ("L'Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet", qui sortira en 2013) inversera la tendance.


lundi 19 novembre 2012

Echange standard (2011)


Depuis quelques années, la comédie américaine a pris un tournant assez étonnant. Sous l'influence de certains scénaristes (pour beaucoup issus de l'école de la télévision) comme Judd Apatow, elle a voulu aborder des thèmes plus graves, mais en utilisant des moyens particulièrement au ras des pâquerettes. Dans cette mouvance, certains films ont connu un réel succès (justifié ou non), qu'il soit critique ou public (ou les deux). On citera, dans ce nombre, "40 ans, toujours puceau", "En cloque mode d'emploi" ou "Funny people". D'autres longs métrages sont allés droit dans le mur. "Echange standard", sorti l'an dernier, fait partie de ce lot.

Depuis qu'ils sont enfants, Mitch et Dave sont amis. Mais leurs vies respectives ont suivi un chemin très différent. Dave est devenu un avocat brillant, est un bon mari et un père aimant, tandis que Mitch est devenu un acteur de seconde zone, irresponsable et célibataire. Mais, au fond, chacun envie la vie de l'autre. Après une soirée particulièrement arrosée, ils vont s'éveiller dans la peau de l'autre. De surprises en déconvenues, il va leur falloir apprendre à vivre une autre vie.

Sur le papier, le pitch peut séduire. Après tout, une comédie mâtinée d'un brin de fantastique peut donner de brillants résultats (je songe notamment à "Un jour sans fin" qui bouclait l'exercice avec le brio que l'on sait). Mais, dans le cas de cet "Echange standard", force est de reconnaître (et ce, dès le début du film) que la tentative est vouée à l'échec. 

Il y a plusieurs raisons à ce constat. La première, majeure (tout au moins à mes yeux) est le ton employé. "Echange standard" vole bas, très bas, même et multiplie les gags sous la ceinture. La scène où Dave, devenu Mitch doit tourner une scène de film pornographique, en est l'exemple même : on a droit à cette occasion à quantité de détails (uniquement verbaux, je vous rassure) censés faire rire, mais n'engendrant finalement que la gêne. En voulant exploiter le ton potache qui fait le succès du surestimé (à mon goût, une fois encore) Apatow, le réalisateur David Dobkin (révélé au grand public avec le très épais "Serial Noceurs") englue très vite son film dans un registre que seules les pires séries Z de Max Pecas ont osé exploiter (pour leur trouver un équivalent dans le cinéma hexagonal). 

Une autre raison au ratage de ce film réside dans l'interprétation. L'idée de base du scénario imposait aux deux interprètes principaux, Jason Bateman et Ryan Reynolds, de briller particulièrement, afin de nous faire adhérer à cette histoire d'échange entre leurs existences respectives.
Il n'en est rien, hélas. 
Fade du début à la fin, Ryan Reynolds traverse le film avec l'impassibilité d'un meuble, tandis que Jason Bateman en fait des tonnes, jouant à la fois sur l'agitation physique et la triviliaté du langage. Ni l'un ni l'autre ne sont particulièrement bons, au final. Si l'on ajoute à cela une version française médiocre, la catastrophe est totale. Face aux deux rôles principaux, les interprètes féminines, Leslie Mann et Olivia Wilde semblent être réduites au rôle de faire-valoir esthétique.

Englué dès les premières minutes dans une ornière boueuse, "Echange standard" ne parvient à aucun moment à reprendre la route de la réussite. Son échec sans appel fut mérité, inutile de lui offrir une séance de rattrappage. 


vendredi 16 novembre 2012

Fantômes contre fantômes (1996)



Avant de devenir le réalisateur du "Seigneur des Anneaux" et de récolter les louanges que l'on sait, Peter Jackson, sortant du ghetto du cinéma "gore", réalisa un film fantastique qui peina à trouver son public. "Fantômes contre fantômes" ("The Frighteners", en version originale) fut son premier projet de grande envergure. 


Hélas, à l'arrivée, peu de spectateurs se déplacèrent pour aller à la rencontre de ces fantômes-là. Quand on voit l'audience qu'atteignent certains films pseudo-vampiresques, c'est à désespérer du public... Fort heureusement, quelques années plus tard, fort de sa passion pour l'oeuvre originelle, il repartit à la charge des studios et sut se faire confier le projet "Lord of the rings". On connaît la suite de sa carrière, preuve s'il en était besoin que le talent finit toujours par être récompensé.


Architecte au chômage, hanté par un passé douloureux, Frank Bannister se sert de son don de médium pour arnaquer ses concitoyens, avec la complicité des fantômes. Hélas, le spectre d'un tueur en série a décidé de faire des siennes : avec ses capacités hors du commun, Frank va vite devenir le suspect numéro un.

Entre comédie et thriller fantastique, "Fantômes contre fantômes" n'est sans doute pas le chef d'oeuvre de son réalisateur (la liste de ses films, déjà fort impressionnantes, est loin d'être close), mais c'est un long métrage qui fonctionne et, surtout, donne énormément de plaisir au spectateur. A la fois surprenant par son thème et les ressorts scénaristiques utilisés, ce qui pourrait passer pour une énième resucée façon "Ghostbusters" s'avère au final plus efficace (et vieillit sans doute mieux). Réalisé avec le brio qu'on connait à Peter Jackson, "Fantômes contre fantômes", pour un galop d'essai hors du bastion du cinéma indépendant, est riche de promesses que son réalisateur tiendra par la suite. 

C'est un véritable plaisir de retrouver Michael J. Fox dans le rôle principal. L'acteur, bien que souffrant déjà de la maladie de Parkinson, donne le meilleur de lui-même et prend visiblement un réel plaisir, tout comme le reste du casting. 

Remarquablement filmé, doté d'un scénario malicieux, "Fantômes contre fantômes" aurait du rencontrer le succès lors de sa sortie en salles. Sorti aux Etats-Unis le jour de l'ouverture des Jeux Olympiques d'Atlanta, il fit un véritable four, complètement injustifié. Si vous êtes amateurs de cinéma fantastique, n'hésitez pas à vous procurer ce film : bon moment garanti !


mardi 13 novembre 2012

Ces amours-là (2010)


Depuis qu'il a décroché, en 1966, la Palme d'Or à Cannes avec "Un homme et une femme", Claude Lelouch fait partie des cinéastes français incontournables. Alternant gros succès populaires (telle que "L'aventure c'est l'aventure" ou "Les uns et les autres") et bides monumentaux (comme "La belle histoire" ou "Roman de gare"), c'est un réalisateur qui laisse rarement indifférent. Son dernier film en date, "Ces amours-là", en grande partie autobiographique, n'a pas rencontré son public, comme on dit.

"Ces amours-là" narre l'histoire d'une femme, Ilva, depuis les années 1930 jusqu'aux années 1970, en passant (c'est la période la plus développée du film) par la seconde guerre mondiale. Difficile de résumer plus ce film, tant (à l'image des productions de Lelouch) le scénario semble vivre sa vie propre, voire se construire au fil de l'eau. Une chose est sûre, cependant : il s'agit d'un film de Claude Lelouch, et c'est d'ailleurs son nom qui figure en grand sur l'affiche du film. 
Le ton est donc donné : "Ces amours-là" est un film de Lelouch qui parle de Lelouch. 

J'avoue n'avoir jamais été un grand admirateur de ce cinéaste, et j'ai bien peur que ce sentiment ait pris de l'ampleur avec les années, tant Lelouch semble diriger de plus en plus ses films vers sa propre personne. Dans la mosaïque hétérogène qu'il nous expose, émergent parfois des références plus ou moins subtiles au cinéma et ses classiques et à l'histoire personnelle du cinéaste. Le fourre-tout qu'il nous propose avec "Ces amours-là" touche au paroxysme du film lelouchien. La caméra est virevoltante, ça chante, ça danse, ça s'efforce de vivre, mais force est de constater que la mayonnaise ne prend pas. A cela, il y a une raison majeure à mes yeux : aussi imprégnée de réalité historique soit-elle, Lelouch ne semble pas croire à l'histoire qu'il nous raconte. Et cela, à mon humble avis, est fatal.

Un cinéaste ne doit pas se contenter d'aligner les plans et de filmer ses interprètes : il doit aussi donner du corps à l'histoire qu'il met en scène, en y insufflant une foi bien absente de ce film. A maintes reprises, "Ces amours-là" sonne faux (je pense notamment aux scènes de guerre, et en particulier à celle du Débarquement). Semblant ne pas se soucier de faire adhérer ses spectateurs à cette traversée du temps, Claude Lelouch filme avant tout pour lui-même. Il ne faut donc pas s'étonner que le public ne le suive pas forcément. 

L'art du metteur en scène réside également dans la direction d'acteurs. Et même le casting le plus honorable peut ne pas fonctionner si le réalisateur n'est pas le chef d'orchestre indispensable à la bonne tenue de la partition. A seriner un peu partout qu'il aime les acteurs (et les actrices), Claude Lelouch a sans doute perdu de vue qu'il faudrait savoir les diriger. Laissés en roue libre, les interprètes jouent leur rôle chacun à leur façon, sans souci de cohérence avec les autres membres du casting. Certains sont plutôt bons (Dominique Pinon, par exemple), mais la plupart manquent cruellement de conviction, voire de talent. Citons, par exemple, Liane Foly (qui s'efforce de prendre un horrible accent de titi parisien) ou Laurent Couson (auteur d'un véritable massacre des "Deux oncles", la superbe chanson de Brassens).

Le film s'achève en un véritable festival dédié à Claude Lelouch lui-même. Entre gêne et écoeurement, le spectateur hésite un instant, avant de quitter la salle : pour une fois le générique de fin est le bienvenu.


samedi 10 novembre 2012

Indian Palace (2011)


J'ai évoqué, il y a quelque temps, le sort de "Et si on vivait tous ensemble ?", film français évoquant les tribulations de six "seniors". Vendu comme une comédie, ce film qui n'en était pas une, ne rencontra pas le succès qu'en attendaient ses producteurs. Curieusement, on pourrait faire le même billet, à peu de choses près, sur "Indian Palace" ("The best exotic Marigold Hotel", en Version Originale). Il est, là aussi question de  personnes "âgées" qui décident, pour des raisons diverses, d'aller vivre dans un hôtel destiné à leur catégorie d'âge, en Inde (à Jaipur, pour être précis). 

Hélas pour eux, ce qui devait être un palace n'en est encore qu'au stade de la rénovation et il faut toute l'énergie et l'enthousiasme du jeune gérant de l'hôtel (Dev Patel, le héros du très beau "Slumdog Millionaire") pour les convaincre de rester, et en apprendre beaucoup sur les autres et eux-mêmes.

La présence de "Indian Palace" dans ce blog pourrait être discutée. Si ce film ne fut pas très bien reçu en France (que ce soit par la critique ou le public), il fut rentabilisé à l'international, comme on dit, grâce à son succès outre-Atlantique. Cela dit, le parallèle avec "Et si on vivait tous ensemble ?" ne tient pas qu'à l'accueil mitigé auquel il eut droit en France. Il s'agit, encore une fois, d'un film dont la promotion assurait qu'il s'agissait d'une comédie (d'ailleurs, c'est annoncé sur l'affiche, diablement proche de celle du film français cité). 

Alors, certes, on sourit souvent et on rit parfois, au visionnage de "Indian Palace". Mais, la plupart du temps, on est ému, touché, par ce que vivent les septs héros, tous remarquablement interprétés. On pourrait décerner une mention spéciale à Judi "M" Dench et Tom Wilkinson, mais ce serait passer sous silence l'interprétation de Bill Nighy (vu dans "Petits meurtres à l'anglaise") et de Maggie Smith (à mille lieues de la saga "Harry Potter"). Evoluant dans le décor sans pareille de l'Inde contemporaine, dynamitant au passage les clichés des tour-operators, nos sept aînés vont apprendre (et le spectateur également) à vivre ensemble le temps qu'il leur reste. 

La réalisation de John Madden, vétéran du grand et du petit écran dont le film le plus connu reste "Shakespeare in Love" (et qui vient de réaliser le remake de "My Fair Lady"), pour académique qu'elle soit, sert subtilement les personnages et les décors qui les entourent. Le scénario, tiré d'un roman de Deborah Moggach, ne réserve pas de grosse surprise, mais dose habilement l'humour et l'amertume qu'ont nos britanniques à retourner sur les terres qui n'appartiennent plus à leur Empire révolu. 

Il faudra, un jour, annoncer clairement la couleur, lors de la promotion d'un film. Cela éviterait sans doute à certaines oeuvres de générer des malentendus. Dans le cas de "Indian Palace" (et pour son exploitation en France), ce fut fatal...






jeudi 8 novembre 2012

Loup, y-es-tu ?

La présence d'une muse efficace n'est pas toujours suffisante pour assurer le succès, lors d'un concours de nouvelles. S'il est arrivé que je figure au palmarès, parfois ce n'est pas le cas. Dans le cadre d'un concours assez "local", j'ai produit ce petit texte, que je mets maintenant à votre disposition, puisqu'il ne fait pas partie des lauréats.
Bonne lecture !


Ça fait plus d'une heure que je cavale dans cette forêt, des fougères jusqu'aux cuisses. Les ronces s'accrochent à mes jambes à chaque foulée, comme si elles tentaient de ralentir ma course. Les traces que laisse ma proie sont de plus en plus discrètes. Peu à peu, le loup retrouve ses marques et redevient une véritable bête sauvage. Il va falloir que je le retrouve sans tarder, avant qu'il ne réussisse totalement à me semer.
Ce métier devient de plus en plus difficile. Dans les premiers jours, juste après qu'on découvre l'Anomalie, la chasse était presque trop facile. Les premiers évadés savaient à peine se cacher, et certains allèrent jusqu'à courir vers leurs Traqueurs qui n'avaient plus qu'à tirer. Avec le temps, cependant, ils sont devenus de plus en plus malins et commencent à nous donner du fil à retordre.
Lors de ma dernière mission, j'ai du me charger d'un nain. Étant donné qu'il était sujet à une rhinite chronique, ses éternuements continuels ont eu tôt fait de le trahir. Je n'ai eu plus qu'à le mettre en joue, et le tour était joué.
Ce loup, c'est une autre histoire, sans mauvais jeu de mots. Je l'ai aperçu tout à l'heure, au loin, et il m'a semblé gigantesque. C'est tout à fait le genre de bestiole capable d'engouffrer une gamine au petit déjeuner et sa grand-mère à midi. Il va falloir qu'une solution soit rapidement trouvée pour rectifier l'Anomalie, et que s'arrête ce délire. J'ose à peine imaginer ce qui va se passer le jour où un dragon va débouler en ville.
L’Anomalie, comme on l'appelle, n'a pas encore de cause connue. Depuis sa découverte, on s'est rendu compte que des personnages de contes avaient réussi à passer dans notre monde, aussi dingue que cela puisse paraître. Jusqu'à présent, nous avons réussi à neutraliser tous les transfuges repérés, sans que le grand public ne soit informé de cette bizarrerie. Si les chercheurs n'arrivent pas à corriger cette faille dans la réalité, il y a cependant fort à parier que toute cette histoire vire au chaos. Il m'arrive parfois d'imaginer ce qui se passerait si l'Anomalie s'étendait à tous les livres. Quand on voit ce qui sort en librairie, on est en droit de frémir. Je me vois mal en chasseur de vampires, si vous voulez tout savoir.
Un craquement dans un buisson tout proche me fait sursauter. J'ai à peine le temps de pivoter dans la direction du bruit qu'une énorme masse grise est déjà sur moi, toute de crocs et de griffes. Je m'écroule au sol, avec l'impression de passer sous un train. Grondant et bavant, le loup cherche à atteindre ma gorge mais se heurte à mon bras gauche, tendu dans un réflexe de défense assez vain. Ses crocs se referment sur mon coude et je hurle de douleur. C'est là que je me rends compte qu'il n'a sans doute pas recouvré l'instinct propre à ceux de sa race. Il aurait pu m'arracher le bras d'un coup, mais ne fait que me mordre, comme s'il découvrait ce dont il est capable.Je profite de son étonnement pour dégager mon bras droit et saisir mon arme. Je ne suis pas sensé tirer à bout portant mais n'ai guère le choix. Pointant maladroitement le canon vers son ventre, je presse la détente.Il bondit en arrière, comme s'il avait posé les pattes sur une plaque brûlante, avant d'atterrir quelques mètres en arrière. Tandis qu'il se tord de douleur, comme en proie à une crise d'épilepsie, je me redresse tant bien que mal, mon bras gauche irradiant de douleur. Avec ce que je viens de lui envoyer, il en a pour quelques heures à ne plus pouvoir bouger, en théorie. Je ne peux m'empêcher cependant de le maintenir en joue, tout en attrapant mon téléphone et en composant le numéro de l'Agence.
- C'est le Traqueur. Je l'ai eu.
- Parfait. On vous rappelle.
Je raccroche et me laisse glisser au sol, m'asseyant contre un arbre, sans baisser mon arbre. Le loup n'a pas bougé, si ce n'est le mouvement régulier de sa cage thoracique. De mon bras sanguinolent, je fouille dans la poche de mon manteau en grimaçant de douleur pour atteindre mon paquet de cigarettes.
- Ne....me renvoie pas...s'il te plaît.
J'ai sursauté et ai machinalement parcouru les alentours du regard avant de réaliser que c'était le grand loup gris allongé devant moi qui venait de parler. Ses yeux verts sont ouverts et dirigés vers moi, emplis de ce qui ressemblait à des larmes.
- Tu parles ?
- Évidemment....tu ne connais pas l'histoire ?
Les yeux exorbités, j'ai malgré moi baissé mon arme et laissé tomber mes cigarettes.
- L'histoire ?
- Celle où je dévore la grand-mère de cette sale gamine.
- Ah, cette histoire-là.
J'ai hoché la tête. Après tout, le fait qu'il parle ne m'étonne même pas, au vu de la situation. C'était la première fois cependant que je discutais avec une cible.
- Je ne veux pas y retourner. S'il te plaît, ne me renvoie pas, a-t-il répété.
- Tu t'imagines que je vais te laisser filer ? A la première occasion, tu te feras un randonneur tartare, ai-je ricané.
- Et si je te promets de ne pas me comporter....comme une bête ?
- Pas question ! Tu n'as rien à faire dans ce monde, pas plus que tes semblables. De toute façon, tu as un rôle à jouer, là-bas, c'est comme ça.Il a laissé échapper un gémissement à vous fendre le cœur.
- Arrête ça, ai-je dit.
- Je n'y peux rien, c'est plus fort que moi. L'instinct, sans doute.
J'ai alors posé la question qui me taraudait depuis des semaines, depuis que j'avais effectué ma première mission.
- Pourquoi surgissez-vous, comme ça, dans notre monde ? Comment ça se fait ?
Un éclair de malice a brillé dans ses yeux.
- Figure-toi que je n'en sais rien. C'est comme si une porte s'était ouverte dans notre réalité à nous, les créatures de contes.
- Mais pourquoi ? Vous devez vous douter que votre place n'est pas ici, non ?
Il a poussé un long soupir.
- On voit bien que ce n'est pas toi qui te fais ouvrir le ventre chaque fois qu'on raconte l'histoire, que tu n'es pas obligé de faire semblant de terroriser cette fille en rouge... Tout ce que je voulais, moi, c'était...sentir l'odeur de la forêt, courir dans les sous-bois, être libre.
- Je suis désolé.
Les mots m'avaient échappé. Je les ai regrettés aussitôt : il est hors de question de sympathiser avec l'ennemi.
- Oublie ça...tu vas retourner d'où tu viens. Tu dois retourner là-bas, pour que l'histoire puisse exister. C'est l'ordre des choses...ai-je cru bon d'ajouter.
Un nouveau gémissement s'est échappé de sa grande carcasse grise. J'ai secoué la tête.
- Tu es pénible, à faire ce bruit.
Il n'a pas répondu. Je me suis relevé et me suis allumé une cigarette. La douleur dans mon coude se faisait plus aiguë. Quand mon téléphone a vibré dans ma poche, c'est d'une main dégouttant de sang que j'ai décroché.
- Oui ?
- C'est bon, tout le monde est en place.
- OK, je vous l'envoie.
Sans raccrocher, je me suis tourné vers le loup étendu au pied du vieux chêne. Il était temps que je le renvoie dans son histoire, les autres protagonistes n'attendaient plus que lui. Néanmoins, j'étais persuadé qu'il récidiverait dès que possible. Tôt ou tard, si l'Anomalie n'était pas corrigée rapidement, il serait de retour dans notre dimension et nos chemins se croiseraient de nouveau.
- Ça y est, il va falloir y aller.
Le loup n'a pas pris la peine de répondre, se contentant de longues et profondes respirations, les yeux brillants. Le temps de faire quelques réglages sur mon arme, je m'approche de lui et place le canon sur sa nuque.
- Je suis désolé, ai-je répété, avant de presser la détente, tout en fermant les yeux.
La vibration produite par le canon traverse tout mon corps et décuple, l'espace d'un instant, la douleur dans mon bras.

Quand j'ouvre à nouveau les yeux, le loup a disparu. Je porte le téléphone à hauteur de mon oreille et lâche :
- Mission accomplie, il est reparti.
Raccrochant avant que mon interlocuteur ne confirme le retour du loup dans l'histoire en cours, et le retour à la normale de cette dernière, je pousse un long soupir.Un sentiment de lassitude m'envahit, comme chaque fois. Après leur capture, les créatures sont, officiellement en tout cas, ré-expédiées dans leur monde d'origine, non sans avoir été étudiées par des experts pleins de perplexité. Ça ne colmate pas la fuite, en tout cas. J’ai parfois l’impression d’écoper l’eau qui s’engouffre dans les cales du Titanic avec un seau de plage. L’avantage de la situation, c’est que je suis loin d’être au chômage.

Une nouvelle vibration me tire de mes pensées.
Je sors le smartphone de ma poche et décroche :
- On en a un autre, Traqueur.
- Déjà ? C'est quoi, cette fois ?
- C’est un peu particulier : il s’agit à première vue d’une…sirène.

Cette fois, je vais sans doute devoir mouiller la chemise. Le moins que l’on puisse dire, c’est que mon métier est loin d’être monotone.
- Je m’en charge.
- On vous envoie les coordonnées.

La traque reprend. Quelle histoire !