jeudi 28 janvier 2021

Bright Star (2009)


La réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion, qui triompha avec "La leçon de piano" est connue pour l'esthétique remarquable de ses longs métrages et l'intelligence de ceux-ci. Pour autant, ses films sont souvent catalogués et échappent, à leur corps défendant, au grand succès public. il y a une dizaine d'années, "Bright Star", réalisé par elle, narrait l'histoire d'amour du poète John Keats. Amateurs d'histoires romantiques, de films en costumes et de belles images, ce film est-il pour vous ?

Londres, début du XIXème siècle : le jeune poète John Keats n'est pas encore reconnu et loge chez son ami Brown. Ils ont pour voisine Fanny Brawne, une jeune fille élégante que la poésie ne semble pas impressionner. Pourtant, peu à peu, entre Keats et elle, va naître un étrange sentiment, auquel ils ne s'attendaient pas. Entre amour, désir et bientôt passion indéfectible, les deux jeunes gens vont devoir vaincre maints obstacles avant de pouvoir s'aimer. 

A l'instar de ce que Jane Campion nous avait déjà offert dans le superbe "La leçon de piano", elle livre ici un film d'une très grande beauté formelle. C'est ce qui saute aux yeux lors du visionnage de "Bright star" : chaque plan est remarquablement travaillé, à l'image de ces toiles dans lesquelles l'œil pourrait se perdre durant des heures. L'écrin que la réalisatrice offre à l'histoire romantique et dramatique de Fanny et John est de ceux qui s'apprécient sur un grand écran et évoque quelques-unes des plus belles réussites du genre (je songe notamment à "Barry Lyndon", l'un des mètres-étalon dans la catégorie). 

Comme souvent quand la forme est sublime, le fond peut sembler moins convaincant. Dans le cas, présent, ce déséquilibre est vérifié (mais dans une moindre mesure, comparé à certains films). S'il fallait en pointer les défauts, c'est du côté du scénario que "Bright star" montre ses (rares) faiblesses. La passion amoureuse, rarement aussi bien décrite au cinéma que dans cette romance pré-victorienne,  est de celle qui s'installent lentement et se déroulent avec une langueur qui peut agacer. 

Alors, oui, "Bright star" est un beau film sur l'amour romantique et rarement le désir a été filmé avec autant de grâce. Mais son rythme, particulièrement lent, et sa longueur pourront décontenancer certains spectateurs et les laisser sur le bord du chemin. D'autres se réjouiront de suivre cette histoire, d'autant plus qu'on y est guidé par Abbie Cornish, lumineuse dans le rôle de Fanny et dont la prestation éclipse bien souvent celle de Ben Wishaw. 

De "Bright star", on retiendra surtout l'impeccable maîtrise de son art dont Jane Campion fait ici la démonstration. Le seul regret qu'on peut émettre après le visionnage de "Bright star" est sans doute que sa beauté plastique éclipse presque tout le reste.



samedi 23 janvier 2021

Mary (2015)

 


Réalisateur remarqué du joli "500 jours ensemble" et récupéré depuis par la grosse machine Marvel, Marc Webb s'est offert un intermède, entraînant avec lui Chris Evans (alias Captain America) pour nous narrer "Mary". Loin des héros en collants et des films parfois dégoulinants d'effets spéciaux, ce petit film ("Gifted", dans sa version originale) n'a pas eu l'audience des autres films de Marc Webb, n'en ayant pas non plus l'ambition. 

Mary a sept ans et est surdouée, pour tout ce qui concerne les mathématiques. Sans doute cela lui vient il de sa mère, qui s'est donnée la mort alors qu'elle n'avait que six mois. Mary vit avec son oncle, Franck, qui l'aime plus que tout, et va dans une école "normale", où elle donne parfois du fil à retordre à son institutrice. Mais Mary est-elle à sa place ? Ne lui faudrait-il pas intégrer une école spécialisée ? Ne mérite-t-elle pas de vivre dans un cadre plus confortable que la modeste maison de Franck?

Loin des exploits de Spider-Man et de ses confrères, "Mary" est un film à hauteur d'homme, voire d'enfant, puisque c'est autour de la petite Mary et de son oncle que tourne l'intrigue. Et elle est maigrelette, l'intrigue en question, mais ce n'est pas là que se trouve la richesse de "Mary". Si ce film vaut le détour (et, à mes yeux, il le mérite largement), c'est parce qu'il a le mérite d'aborder des sujets que le cinéma grand public évite avec soin. Le sort de cette petite fille, trop intelligente, mais déjà fort secouée par la vie, est au centre de "Mary" et vaut qu'on s'y attarde. 

Malgré un enjeu plutôt mince, on se prend d'intérêt pour "Mary", pour peu qu'on aie envie (ou besoin) d'une histoire à échelle humaine, sans pathos, mais avec une véritable tendresse pour ses personnages. Aucun d'entre eux n'est parfait (y compris la petite héroïne) : ils sont simplement humains, parfois dépassés, se trompent souvent, mais continuent d'avancer, tant bien que mal, sur le chemin qu'ils tracent ou qu'on trace pour eux. 

La prestation de ses interprètes, et particulièrement de la petite McKenna Grace, d'une fraîcheur et d'une spontanéité remarquables, est pour beaucoup dans le charme qui se dégage de "Mary". L'épatante Octavia Spencer (vue aussi dans le très bon "Les figures de l'ombre") donne une énergie folle aux quelques scènes où elle apparaît, tandis que Chris Evans, débarrassé de sa combinaison de Captain America, montre une belle sobriété dans le rôle de l'oncle parfois dépassé, toujours aimant. Jenny Slate, dans celui de l'institutrice apprenant de sa petite élève autant qu'elle lui enseigne, est également pour beaucoup dans le charme qui se dégage du film

On pourra regretter que "Mary" s'englue par moments dans des séquences judiciaires qui l'alourdissent inutilement et que ce joli petit film frôle parfois le mélodrame tire-larmes, mais l'ensemble est plutôt réussi et souvent touchant. Malgré un sujet qui pourrait faire qu'on passe à côté de ce petit film, "Mary" dispose d'un vrai charme, en grande partie venu de ses interprètes. .Voilà (encore) une belle surprise venu de la frange la moins tapageuse du cinéma américain.



lundi 18 janvier 2021

Tango (1992)

 

Non content d'avoir réalisé quelques-uns des plus gros succès publics du cinéma français (des "Spécialistes" aux "Bronzés"), Patrice Leconte peut se targuer d'avoir réussi son virage vers des films moins légers, notamment avec "Tandem" ou "Le mari de la coiffeuse". Néanmoins, quelques-uns de ses longs-métrages ne reçurent pas le succès auquel il nous avait habitué. Si le cas des "Grands ducs" a déjà été évoqué dans ces colonnes, on peut aussi  soulever celui de "Tango" qui, malgré un casting des plus prestigieux, essuya un accueil sévère. Était-ce mérité ?

Bien qu'ayant assassiné son épouse infidèle, après avoir éliminé l'amant de celle-ci, Vincent a été considéré comme non coupable. De son côté, alors qu'il accumulait les adultères, Paul voit sa femme le quitter et se rend compte que la situation l'insupporte. Guidé par son oncle, Paul décide de faire appel aux services de Vincent pour liquider sa femme : ainsi, il sera libéré d'elle. Voilà les trois larrons embarqués dans un drôle de périple.

A la lecture du pitch ci-dessous, on est en droit de se demander si l'on ne va pas avoir affaire à quelque comédie grinçante, où la morale va trinquer au bénéfice des zygomatiques. Si les convenances en prennent effectivement pour leur grade, il faut bien reconnaître qu'au niveau de la rigolade, on est loin du compte. On se demande souvent si on n'est pas devant un film de Bertrand Blier, en visionnant "Tango", mais c'est bien Patrice Leconte qui est aux commandes et livre ici l'un de ses moins bons opus. C'est comme si le réalisateur de "Tandem" s'essayait à la comédie acerbe, façon "Buffet froid", mais sans maîtriser l'exercice de style imposé, faute d'avoir le moindre recul sur son sujet.

Faute de ce pas de côté, Patrice Leconte échoue dans sa démarche. Quand il se veut grinçant, "Tango" est plutôt vulgaire et, plus d'une fois, on ressent de la gêne pour les acteurs, dont on se demande s'ils ont lu le scénario complètement avant de signer pour ce film, ou s'ils se sont dit que le réalisateur de "Tandem" disposait d'une filmographie qui parlait pour lui. Qu'il s'agisse de Thierry Lhermitte, Richard Bohringer ou du grand et regretté Philippe Noiret, sans parler des seconds rôle, dont Miou-Miou, Jean Rochefort et Carole Bouquet, on se demande ce que ces comédiens sont venus faire dans cette galère.

Où sont passées la finesse de "Tandem", l'élégance de "Ridicule" ? Malgré la présence (presque anecdotique) de Jean Rochefort, on peine à voir la filiation entre ce "Tango" cynique et pas très fin avec les films presque contemporains de Leconte. Des sketches reliés entre eux avec plus ou moins de réussite et de consistance, voilà l'impression que donne "Tango". A s'aventurer sur des territoires qui ne lui correspondent pas, Patrice Leconte échoue, malgré la brochette d'acteurs venus danser ce "Tango".





mercredi 13 janvier 2021

Avant l'aube (2011)

 

La présence de certains acteurs me suffit parfois à visionner un film. Jean-Pierre Bacri est de ceux-là, les habitués de ce blog n'en seront pas étonnés. Souvent associé à des rôles de râleur, ce comédien ne se cantonne pas pour autant à ce registre. Le film "Avant l'aube", par exemple, lui donna l'occasion de se glisser dans la peau d'un notable quasiment chabrolien, aux côtés de Vincent Rottiers, Ludmila Mikaël et Sylvie Testud, pour ne citer qu'eux. Passé totalement à côté de ce film lors de sa sortie, j'ai sauté sur l'occasion récente de le découvrir. 

En réinsertion après un séjour en prison, Frédéric est employé dans un hôtel de montagne, dirigé par Jacques. L'homme et ses proches ne font pas partie du même monde que celui du jeune garçon. Quand un client de l'hôtel disparaît, Frédéric comprend vite que Jacques cache quelque chose. Pourtant, fasciné par cet homme, il se laisse entraîner dans son sillage et accepte son amitié. Mais la frontière entre leurs mondes est-elle pour autant gommée d'un coup ?

On songe à de multiples reprises à Claude Chabrol, en regardant "Avant l'aube", où l'intrigue policière, quasiment souterraine, est le prétexte au frottement des classes, où les personnages cachent autant qu'ils ne parlent. La disparition, évoquée dans le pitch plus haut, n'est finalement qu'un prétexte à mettre en évidence les relations entre tous les protagonistes et leurs différences. Pour son deuxième long métrage, Raphaël Jacoulot fait preuve d'une belle maîtrise et distille le malaise avec subtilité. 

Qu'il s'agisse des séquences se déroulant dans l'hôtel (qu'on devine peu accessible, étant données les conditions météorologiques) où de celles où le personnage incarné par Vincent Rottiers retrouve son monde d'origine et n'y trouve plus sa place, "Avant l'aube" est de ces films qui examinent en coupe une petite société, de façon élégante et efficace. 

Quant à la distribution, en plus d'être élégante et particulièrement adaptée, elle est irréprochable. Qu'il s'agisse de l'immense Jean-Pierre Bacri, remarquable en homme finalement multiple, de Vincent Rottiers, tout en énergie rentrée et dont on se demande s'il ne va pas exploser d'un instant à l'autre, ou de Sylvie Testud en policière moins superficielle qu'elle n'en a l'air (pour ne citer que ces trois-là), les comédiens qui donnent vie à "Avant l'aube" donnent le meilleur d'eux-mêmes. A l'élégance de la mise en scène vient s'ajouter celle de l'interprétation. 

Pour peu qu'on soit client de ces films où, sous des dehors convenables, l'affrontement est féroce, comme ceux que livra Claude Chabrol (je me répète, mais la filiation semble évidente et est réussie), "Avant l'aube"  fera mouche, à coup sûr. 



vendredi 8 janvier 2021

La daronne (2020)

A l'instar d'autre films, "La daronne" a reçu la crise sanitaire de plein fouet et ne bénéficia que d'un temps d'exposition réduit en salles. Sera-t-il l'objet d'une deuxième sortie, quand cette crise sera derrière nous ou devra-t-il se satisfaire d'être disponible sur les plates-formes numériques ? Malgré l'a priori plutôt négatif que j'ai au sujet du cinéma de Jean-Paul Salomé (revenu derrière la caméra après une absence de quelques années), jetons un œil à ce film, porté par Isabelle Huppert. 

Patience est interprète judiciaire et, à ce titre, assiste souvent les policiers lors d'interrogatoires ou d'écoutes. Quand elle découvre par hasard que la mère du dealer qu'elle surveille est l'infirmière qui prend soin de sa mère, elle choisit de couvrir le suspect. Prise dans l'engrenage, Patience se trouve bientôt en possession d'un gros stock de drogue et va le revendre. Surnommée par les policiers "la daronne", elle est alors recherchée par eux et, à leur tête, Philippe, son propre conjoint. 
Sale affaire, ou bonne affaire pour Patience ?

Le pitch paraîtra un peu audacieux, légèrement subversif et, surtout, idéal pour une comédie. En adaptant le roman (à succès) de Hannelore Cayre, Jean-Paul Salomé, qu'on avait connu fort peu inspiré sur "Bélphégor le fantôme du Louvre", par exemple, disposait d'une matière première propre à faire rire. Mais, c'est un ton qui oscille entre comédie, drame et film policier (sans grand suspense, cela dit) qu'il choisit pour réaliser "La daronne". Plutôt que d'utiliser le matériau de base pour jouer du contraste entre les personnages et les milieux dans lesquels ils évoluent, le réalisateur tente d'établir un équilibre délicat. Et, une fois le film visionné, il faut bien se rendre compte que c'est un film plutôt bancal qui nous est livré.

Comme si le ton du film avait évolué en cours de tournage, on passe de l'intrigue policière à la comédie parfois loufoque, tout en louchant vers la romance, sans aller jusqu'au bout d'aucun de ces chemins entrevus. Alors, pour trouver quelque satisfaction dans ce cocktail au goût indéfinissable, on peut se réfugier dans la prestation d'Isabelle Huppert, souvent en roue libre dans ce film où elle est de quasiment tous les plans. Si son interprétation a été saluée par la plupart des critiques, j'avoue rester perplexe, tant il m'a semblé qu'elle surjouait souvent et faisait sortir le film de sa zone de crédibilité. Ajoutons à cela l'étalage de clichés sur les différentes communautés que l'héroïne du film fréquente et on pourra légitimement tiquer. 

Quand arrive le générique de fin de "La daronne", le spectateur est en droit de rester insatisfait, ne sachant pas trop à quel exercice il vient d'assister. Se frottant à plusieurs genres sans les explorer tout à fait, le film de Jean-Paul Salomé donne un goût d'inachevé et, surtout, questionne sur son but véritable. 



dimanche 3 janvier 2021

Jack le chasseur de géants (2013)

Le conte pour enfants "Jack et le haricot magique" n'est pas le plus célèbre des livres de chevets de nos chères têtes blondes. Il put paraître surprenant qu'il soit choisi pour faire l'objet d'une adaptation cinématographique. Mais, après tout, Blanche-Neige eut droit, elle aussi, à une transposition inattendue, non ? Après une production chaotique et un changement de réalisateur en cours de projet, "Jack le chasseur de géants" fut, lorsqu'il arriva enfin dans les salles obscures, fut un four monumental, souvent comparé à celui de "John Carter" (qui semble faire figure de mètre-étalon en la matière).

Autrefois, les géants affrontèrent les hommes et furent vaincus par le pouvoir de la couronne magique brandie par le roi de l'époque. ils vivent désormais dans leur monde, loin dans le ciel. Quand Jack, jeune paysan, entre en possession de haricots magiques, il ne sait pas encore qu'il va, bien malgré lui, créer un passage entre le monde des humains et celui des géants. Mais ces derniers ayant enlevé la princesse Isabella, Jack n'hésite plus et part à sa recherche, même si la guerre entre hommes et géants gronde. 

Quand on exploite un monde imaginaire, tiré ou non d'une œuvre littéraire, l'un des prérequis indispensables est de mettre en place la fameuse suspension d'incrédulité. Et, pour faire adhérer le spectateur, il faut avant tout croire en ce que l'on raconte. Lorsqu'il réalisa l'indépassable trilogie "Le Seigneur des Anneaux", Peter Jackson croyait en l'histoire qu'il racontait et au monde qu'il décrivait : la réussite de l'entreprise devait beaucoup à sa crédibilité. Nombre de créations désireuses d'exploiter des mondes imaginaires ne peuvent se targuer d'avoir rempli ce critère vital. Au visionnage de "Jack le tueur de géants", c'est flagrant : personne ne croit en ce monde et en cette histoire. 

Souffrant sans doute d'une production chaotique (Bryan Singer ne voulait pas faire le film, mais y fut contraint), "Jack le chasseur de géants", hésitant entre spectacle grandiloquent en 3D et contes de fée léger, peine aussi à convaincre parce qu'il ne sait pas trop sur quel pied danser : la légèreté alterne avec le drame, l'aventure avec la romance sans un véritable liant entre tous les ingrédients de la recette.

Déséquilibré, parce qu'il opte pour la noirceur tout en s'ancrant dans une fantasy peu réaliste, "Jack le
chasseur de géants" souffre aussi de graves défauts de production. A l'image des très vilains géants que le héros combat, ce film n'est pas très beau, esthétiquement parlant. Et puis, il faut bien admettre que le casting de "Jack le chasseur de géants" n'attire guère la lumière. Nicholas Hoult fait bien pâle figure dans le premier rôle et se fait voler la vedette par Ewan McGregor chaque fois que ce dernier est à l'écran. 

Depuis la sortie de ce film, réalisé presque contre son gré par Bryan Singer, le réalisateur de "Usual Suspects" est revenu à la licence qui fit sa gloire avec "X-Men : Days of future past" et sa suite, avant de diriger (en partie) "Bohemian Rhapsody", avec le succès que l'on sait, avant de se retrouver empêtré dans une sordide affaire de mœurs. Retrouvera-t-il un jour le statut qui fut le sien ? Une chose est sûre, en tout cas : "Jack le chasseur de géants" n'est pas au nombre des films glorieux de sa filmographie...