lundi 28 janvier 2019

Le grand méchant loup (2013)


Le couple et l'adultère, voilà un thème rebattu. Pour surprendre le spectateur et éviter de copier les grands classiques du théâtre de boulevard (celui avec les portes qui claquent et les "Ciel, mon mari !"), les scénaristes doivent faire preuve d'inventivité. Après avoir réalisé "La personne aux deux personnes" (qui mériterait sans doute un billet sur ce blog), Nicolas Charlet et Bruno Lavaine, réalisateurs travaillant en duo, se sont attaqués à un registre pour le moins usé, tout en évoquant d'autres grands classiques, venus des contes pour enfants. Le grand public a sans doute pris peur du grand méchant loup, car le succès ne fut pas au rendez-vous.

Ils sont trois frères, Riri, Fifi et Loulou, ou plutôt Henri, Philippe et Louis, et chacun d'eux a une vie bien différente. Un jour, leur mère est victime d'un accident. C'est alors que leurs existences vont faire un drôle de virage.
Et si ces trois frères, avec leurs maisons de bois, de paille ou de pierre, étaient les trois petits cochons ? Et si le grand méchant loup portait jupon et s'apprêtait à souffler doucement sur leurs vies ?

Inspiré du conte des trois petits cochons (de Charles Perrault), mais également du film éponyme du Québecois Patrick Huard (réalisateur de "Starbuck"), "Le grand méchant loup" offre un triple point de vue sur les affres du cœur (et du corps) lorsque la quarantaine arrive et que la vie (et la mort, sa consœur) fait des siennes. L'air de rien, tout en gardant (ou presque) le ton qui est le leur, Nicolas et Bruno, les créateurs des excellents "Messages à caractère informatif", nous offrent ici un film choral plutôt malin.

En suivant la trajectoire des trois petits cochons (qui portent les noms des trois petits canards de Disney, mais c'est drôle), le film est tour à tour touchant, drôle, sarcastique et dramatique. Sa réussite (partielle) tient en grande partie à une réalisation plutôt élégante, à un scénario habile, et à une distribution au cordeau. Les interprètes de ce conte pour grands enfants sont tous remarquables, sans doute parce qu'ils sont excellemment dirigés : qu'il s'agisse de Benoît Poelvoorde, de Fred Testot ou de Kad Merad, le trio de comédiens qui mène le bal prouve qu'avec un bon script, ils peuvent donner le meilleur. Derrière eux, les seconds rôles sont tout aussi méritoires : de Charlotte Lebon à Zabou Breitman, en passant par Valérie Donzelli (et je ne cite pas tout le monde), les acteurs croient à ce qu'ils jouent, cette histoire fût-elle parfois fantaisiste.  Ce casting, finalement très équilibré, est le plus bel atout du film.

Si "Le grand méchant loup" aurait gagné à être un peu plus court (en consacrant peut-être moins de temps au personnage incarné par Benoît Poelvoorde), il n'en reste pas moins qu'il est d'une belle efficacité, parce qu'il se permet quelques audaces bienvenues.







mercredi 23 janvier 2019

Le grand partage (2015)


Quel est le secret d'une comédie ? Pourquoi, des décennies plus tard, "Les aventures de Rabbi Jacob" continue à faire rire en évoquant des sujets graves, alors que "Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?" finira (je prends les paris) par être oublié ? Telle la potion magique des albums d'Astérix, ces films qui traversent le temps disposent sans doute d'un ingrédient secret. Si vous voulez mon avis, il serait temps de remettre la main sur ce composant, ne serait-ce que pour lutter contre la morosité ambiante.  En voulant traiter d'un sujet grave, à savoir le mal-logement, Alexandra Leclère, dont j'avais déjà peu goûté "Garde alternée", nous a proposé juste avant "Le grand partage"

Il fait froid, cet hiver à Paris, tant et si bien que le gouvernement décide d'imposer à ceux qui ont de la place chez eux d'héberger un ou plusieurs sans-abri. Alors, forcément, dans l'immeuble cossu où cohabitent déjà difficilement la famille Dubreuil (des bourgeois étriqués et peu épanouis) et les Bretzel (des bobos donneurs de leçon qui feraient bien de balayer devant leur porte), ça ne va pas se passer sans mal. Sans compter la concierge, militante d'extrême-droite, qui voit les nouveaux arrivants d'un mauvais œil.


Inutile de tourner autour du pot. Si vous avez vu la bande-annonce (d'ailleurs présente en bas de cet article), les scènes les plus drôles du film s'y trouvent : cela donne une idée de l'ensemble. A l'image de "Garde alternée" et de pas mal d'autres comédies (souvent françaises, il faut le reconnaître), "Le grand partage" donne l'impression qu'il a été produit sur la base de sa situation initiale, sans souci du traitement de celle-ci. C'est bien joli, d'avoir un postulat de base, mais il faut en faire quelque chose et la simple confrontation de personnages et de points de vue différents ne suffit pas forcément à générer les étincelles comiques attendues.

Pour le coup, donc, l'élément perturbateur n'est pas suffisant pour faire tourner le moteur de la comédie. C'est souvent le cas, mais en ce qui concerne "Le grand partage", c'est particulièrement flagrant. Représentatif - hélas ! - d'une grosse partie de la comédie française, ce film se contente du minimum syndical et compte faire rire avec des mécanismes éculés et franchement pas drôles.


On pourra se lamenter de retrouver certains acteurs dans pareil film :  Patrick Chesnais et Karin Viard, par exemple, gâchent leur talent dans ce film. Jackie Berroyer, Michel Wuillermoz, Didier Bourdon et Valérie Bonneton récidiveront dans "Garde Alternée". J'ai tendance à penser qu'ils savent ce qu'ils font et aurais donc peu d'indulgence, pour une fois, pour le casting de cette pantalonnade pataude.

Souvent balourd et jamais drôle, "Le grand partage" porte haut une forme de vulgarité vis-à-vis de ses personnages. Aucun d'entre eux n'est sympathique ni n'attire l'empathie. On peut en dire autant du film.









vendredi 18 janvier 2019

En liberté ! (2018)


L'excès des taglines sur l'affiche peut, dans le cas de "En liberté !", faire office de repoussoir. Les formules, plutôt définitives, qui annonçaient ni plus ni moins que la comédie de l'année, ont sans doute contribué à faire douter le spectateur. Malgré un joli casting et des critiques élogieuses, Pierre Salvadori n'a pas chahuté le box-office français lors de la sortie de son dernier film. Ce n'est pas le premier film de ce réalisateur qui a le droit à un billet dans ces colonnes : faut-il s'en désoler ?

Alors qu'elle pensait qu'il s'agissait d'un héros tombé en faisant son devoir, Yvonne, gendarme, découvre que feu son mari était un ripou. Elle choisit de réparer les fautes de ce dernier. C'est ainsi qu'elle va s'intéresser au cas d'Antoine, injustement emprisonné huit ans durant, pour un casse qu'il n'avait pas commis. Entre eux deux, la rencontre va générer quelques secousses...


On retrouve dans "En liberté !" certains des thèmes de prédilection de Pierre Salvadori : les personnages y sont souvent malmenés par la vie, à côté de la plaque, et se réfugient dans des mensonges, petits ou grands, qui n'arrangent rien à leur situation. Dans "Les apprentis" ou "De vrais mensonges", ces arrangements avec la vérité donnaient lieu à des situations tantôt comiques, tantôt dramatiques. En rêvant plus haut que leur vie, les héros de Salvadori ont souvent tendance à se mettre tous seuls dans des situations rocambolesques, dont ils ne sortent qu'à grand peine.

Mais cette fois, Pierre Salvadori, non content de mélanger toutes ces histoires avec brio, les saupoudre d'un rien de burlesque : ce qui pourrait être dramatique vire souvent à l'absurde. Plus léger (quoiqu'avec le recul, on peut sentir la gravité), "En liberté !" est une vraie comédie, justement parce que ce film ne fait pas qu'accumuler les gags, mais qu'il raconte une histoire digne de ce nom. 

Porté par des interprètes en grande forme, souvent très drôle, assez léger, "En liberté !" est à ranger dans la catégorie des grands films de Pierre Salvadori (pas très loin des "Apprentis", si vous voulez mon avis). Qu'il s'agisse d'Adèle Haene, étonnante et crédible à chaque instant, de Pio Marmaï, de Damien Bonnard ou d'Audrey Tautou, les acteurs choisis par Pierre Salvadori s'en donnent à cœur joie et investissent leurs personnages avec délectation et humanité. Les protagonistes de "En liberté !", humains, faillibles et finalement sûrs de rien, touchent le spectateur. Au passage, Pierre Salvadori rappelle avec justesse qu'une comédie réussie a besoin de personnages crédibles, et pas uniquement de caricatures ambulantes. Les actuels poids lourds de la comédie française feraient bien d'en prendre note (j'ai des noms en tête et les habitués de ce blog savent probablement à qui je fais allusion).

N'en déplaise aux responsables du marketing qui décidèrent de vendre "En liberté !" comme un objet uniquement comique, ce film est bien plus que cela. Aurait-il eu plus de succès s'il avait été promu avec plus d'humilité ? Il est trop tard pour refaire le match, mais pas pour lui redonner sa chance...




dimanche 13 janvier 2019

Moka (2016)


La vengeance est le moteur de nombre d'intrigues, depuis la création du cinéma (pour ne citer que cet art). On  ne compte plus les films utilisant ce ressort, de "Taken" à "La mariée était en noir". En adaptant le roman éponyme de Tatiana de Rosnay, Frédéric Mermoud, cinéaste suisse, nous a récemment proposé "Moka". Malgré la présence en tête d'affiche d'un duo d'actrices renommées (Emmanuelle Devos et Nathalie Baye), ce film n'a pas rencontré le succès escompté. Jetons un œil dans le rétroviseur, si vous le voulez bien. 

La vie de Diane a basculé : son fils est mort, percuté par un chauffard qui a pris la fuite. Alors que l'enquête piétine, elle mène sa propre enquête. Ainsi, elle apprend que le véhicule en question était une Mercedes de couleur moka et que le conducteur était une femme blonde. Quand elle rencontre Marlène, propriétaire de la voiture, Diane découvre que sa vengeance ne sera pas aussi simple qu'elle l'avait imaginé. 


On pense évidemment à "Que la bête meure", l'un des chefs d'oeuvre de Claude Chabrol, en lisant le pitch de "Moka". Il est vrai que le ton général du film et que sa réalisation font fortement penser aux longs métrages du réalisateur de "La cérémonie". Sous ses aspects de thriller, "Moka" examine de près ses deux héroïnes, les confrontant lors de scènes où le malaise s'installe parfois. On songe aussi à Hitchcock, maître incontesté du suspense, lors de certaines séquences jouant du décor comme d'un personnage à part entière. Frédéric Mermoud, réalisateur de plusieurs épisodes de la série "Les revenants", s'aventure donc pour son premier long métrage sur un chemin déjà maintes fois balisé.

Si le film est globalement réussi et remplit la mission qu'il s'était assigné, il souffre de l'inévitable comparaison avec ses illustres modèles. Bien qu'on prenne plaisir à suivre le cheminent de Diane en territoire de reconstruction, l'impression de déjà vu est omniprésente. Pour l'effet de surprise, on repassera, donc. 


C'est essentiellement la prestation d'Emmanuelle Devos qui donne son intérêt au film. Avec l'énergie d'une "Gloria", son personnage est de quasiment toutes les scènes et donne l'occasion à l'actrice de montrer presque toute l'étendue de sa palette. Face à elle, Nathalie Baye se montre moins persuasive (mais j'avoue avoir rarement été convaincu par cette actrice, cela vient peut-être de moi). 

S'il n'apporte rien de neuf, "Moka" relate le cheminement d'une femme brisée et joue plutôt finement de la psychologie de ses personnages. Porté par une interprète remarquable, ce film de vengeance, s'il n'a rien d'inoubliable, remplit honnêtement son cahier des charges, tout en gardant une touche personnelle. C'est déjà ça de pris. 



mardi 8 janvier 2019

Cool World (1992)


Un dessin animé pour adultes est une denrée suffisamment rare pour ne pas faire la fine bouche. Allez dire, passé la trentaine, que vous appréciez les films d'animation et on vous regardera sans doute avec de drôles d'yeux. Le chemin fait par la bande dessinée (et non complètement abouti, mais c'est un autre débat) reste à parcourir pour le dessin animé : c'est un registre dans lequel, souvent, les adultes sont là parce qu'ils y accompagnent leur progéniture, sans forcément avoir le droit d'y prendre plaisir. 

A peine revenu de la guerre, Franck Harris s'est trouvé, suite à un accident de la route, plongé dans un univers de cartoon, où le délire est loi. Il y fait office de détective privé. De son côté, le dessinateur de BD Jack Deebs se retrouve propulsé dans le même univers sans comprendre pourquoi ni comment. Dans ce monde dessiné, il tombe sous le charme de la très sexy Holli Would. Mais Franck Harris ne l'entend pas de cette oreille.

Ralph Bakshi, réalisateur à qui l'on devait déjà une adaptation du "Seigneur des Anneaux" (il faudra que je me penche sur ce long métrage, un jour), est surtout connu pour son "Fritz the Cat" (qui fut classé X à l'époque) et "Tygra, la glace et le feu". Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il a un style, dans l'animation et qu'il testa nombre de techniques innovantes (notamment la rotoscopie), en plus d'avoir osé utilisé le dessin animé pour des histoires "adultes".

Mais le "style Bakshi", en plus d'avoir pris un sacré coup de vieux, a nombre de défauts : dans sa vision de l'animation, un personnage ne peut pas ne pas bouger, fût-ce pour parler. Sans doute hyperactifs, les héros dessinés de "Cool world" n'échappent pas à la règle. A l'instar de son adaptation du "Seigneur des Anneaux", Bakshi prend le parti de négliger les plans fixes : ça doit bouger, même lorsqu'il faudrait simplement laisser le regard se reposer quelques instants. Si cette approche a pu séduire, il faut bien admettre qu'elle a salement vieilli, tout comme le ton particulièrement sombre du long métrage, aux antipodes de ce qu'on attend dans pareil registre. 

Pour l'anecdote, la ravissante Kim Basinger reçut deux prix pour son rôle dans "Cool World" : le MTV Award de la femme la plus désirable (autres temps, autres mœurs, soit dit en passant) et le Razzie Award de la pire actrice. Ces récompenses sont à l'image du film, graphiquement audacieux, mais laborieux et pas franchement réussi.

jeudi 3 janvier 2019

Tempête de sable (2016)



Comme je le disais en exergue d'un tout récent billet, les lignes bougent, et ce ne sont pas seulement celles des courts de tennis. Les droits de la femme (dont il faudra vraiment m'expliquer en quoi ils diffèrent de ceux de l'homme) à disposer d'elle-même sont mis en avant chaque jour ou presque dans l'actualité. Le cinéma s'étant emparé du sujet, les œuvres l'abordant sont légion et viennent de (presque) tous les pays du monde. Pour preuve, "Tempête de sable", film israélien, qui se penchait sur le destin d'une jeune femme avide de liberté, mérite un petit coup de projecteur.

Dans un village bédouin d'Israël, Jalila accueille la nouvelle épouse de Suliman, son mari. Alors que les festivités se préparent et que les femmes se rencontrent, Jalila découvre que sa fille aînée, Layla, a une liaison avec un jeune homme de son université. 
Elle va ainsi à l'encontre de la tradition et de l'intérêt de sa famille : son père, Suliman, va devoir prendre les choses en main. 


Evidemment, en visionnant "Tempête de sable", on songe au très beau "Mustang", car la thématique explorée dans "Tempête de sable" est voisine : les femmes et leur liberté, confrontées à des traditions. Au milieu de ces femmes, le personnage masculin de Suliman, qui s'affiche progressiste (il confie en cachette le volant de sa voiture à sa fille), est confronté aux traditions et s'y conforte parfois malgré lui, souvent par tranquillité. Elite Zexter, réalisatrice et scénariste de ce film au ton quasi-documentaire, a choisi la voie du réalisme pour "Tempête de sable". Remarqué dans de nombreux festivals (de Locarno à Sundance) et couvert de moult prix, ce premier film est remarquable en de nombreux points.

C'est d'abord la méticulosité de l'observation qui saute aux yeux : si l'on a affaire à une fiction, Elite Zexter livre un voyage en terre inconnue (pour nombre de spectateurs) qui ne laissera personne indifférent. Si loin, si proches, les personnages de "Tempête de sable" sont touchants et profondément humains, et subissent le poids des traditions chacun(e) à leur manière. Pour les incarner, la réalisatrice a choisi des acteurs (et, surtout, des actrices) remarquables : Lammis Ammar, incandescente dans le rôle de Layla, emporte dans son sillage le spectateur qui suite, à sa hauteur, cette histoire ni extraordinaire, ni banale.

D'une belle justesse et filmé avec retenue, "Tempête de sable" est souvent poignant, mais sans jamais sombrer dans le pathos. Réaliste mais jamais jugeant, ce film mérite un petit coup d’œil, ne serait-ce que pour découvrir un peuple et ses traditions.