samedi 29 décembre 2012

Je hais les acteurs (1986)


Oublié sous la poussière, au fond du placard des films français, "Je hais les acteurs" est sans doute inconnu de la majorité des lecteurs de ce blog. Et pourtant, ce premier film de Gérard Krawczyk (oui, celui qui commit "Taxi")et produit sous l'égide d'Alain Poiré (à qui l'on doit quelques monuments du cinéma hexagonal) disposait d'un casting à faire pâlir pas mal de producteurs actuels. Pensez donc : s'y bousculaient, sans ordre de préférence, Jean Poiret, Bernard Blier, Michel Blanc, Michel Galabru, Pauline Lafont, et j'en oublie. L'entreprise était ambitieuse et audacieuse, puisque ce film, en noir et blanc (ce n'était donc pas une défaillance de votre navigateur, soyez rassurés !) adaptait un roman de Ben Hecht (l'un des plus prolifiques scénaristes de l'âge d'or des grands studios), en se voulant fidèle au ton unique des grands films hollywoodiens.
A l'arrivée, il faut croire que les cinéphiles ne se sentirent pas interpellés par "Je hais les acteurs", lui réservant un accueil froid et des salles bien peu remplies.  Malgré une nomination au César du meilleur premier film, aujourd'hui, ce film a sombré dans l'oubli, ou presque...


Hollywood, les années quarante : un détective privé enquête sur une série de meurtres et se trouve plongé dans le monde du cinéma, dont il découvre l'envers du décor. Des producteurs sans scrupule, des acteurs à l'ego démesuré, des starlettes écervelées, des réalisateurs psychotiques (le premier qui dit que rien n'a changé depuis gagne la palme du mauvais esprit). 

Soyons clairs : le scénario n'a rien de follement original et ne surprendra guère le public. A défaut de fond, c'est surtout la forme qui est l'intérêt de ce film. Car on est ici, dans l'exercice de style appliqué, d'un côté de la caméra comme de l'autre. pour sa première mise en scène, Krawczyk s'efforce de respecter tous les codes des grands classiques qui bercèrent sans doute sa jeunesse de cinéphile. Alors, certes, tout cela peut laisser froids les cinéphiles actuels, mais il faut reconnaître que, d'un point de vue esthétique, "Je hais les acteurs" tient ses promesses. 

Pour servir cette reconstitution, Krawczyk réussit à convoquer une bonne partie de la fine fleur des acteurs français des années 80. Alors, certes, Patrick Floersheim, qui tient le rôle du détective (et celui de fil conducteur de l'histoire) n'a pas la renommée nécessaire au statut de locomotive qu'il endosse pour ce film. Mais, au cours de sa trajectoire, il croise le ghotta du cinéma hexagonal (j'en ai déjà cité un bon nombre plus haut) : Claude Chabrol, Jean-François Stévenin, Dominique Lavanant, Claire Nadeau, et même Marcel Gotlib se font visiblement plaisir en voyageant dans le temps et l'espace. Et je ne vous parle même pas de ceux qui ne firent dans ce film que des apparitions fugaces ou des participations amicales. Le plus célèbre évadé fiscal du moment, Gérard Depardieu pour le nommer, joue ici un rôle fugace (non crédité, qui plus est).

On s'en rend vite compte au visionnage, ce film est bâti sur un mensonge : Krawczyk et son producteur aiment les acteurs, infiniment, au point de leur offrir avec ce film un sublime terrain de jeu. Il eut fallu, pour que la fête soit réussie, que les scénaristes soient de la partie et épaississent un peu l'intrigue, pour faire de ce film un peu plus qu'une balade dans des décors de stuc et de plâtre. Le spectateur y aurait probablement trouvé son compte. Faute de cela, l'insuccès de cette grosse production plomba sérieusement la carrière de son réalisateur. Gérard Krawczyk réalisa ensuite le très joli "L'été en pente douce" avant de tomber sous la coupe de Besson, pour remplacer Gérard Pirès sur le tournage du premier "Taxi" (le destin est parfois cruel). Nul doute que si "Je hais les acteurs" avait connu plus de succès, sa carrière aurait pris un tout autre tournant. En attendant, les cinéphiles nostalgiques peuvent offrir à ce film une seconde chance...





mercredi 26 décembre 2012

Premium Rush (2012)



On se demande parfois ce qui se passe dans la tête des producteurs. Autant la mode actuelle des remakes, séquelles et reboots tend à m'agacer, autant certains films, vendus pour être extrêmement originaux, ne tiennent pas leurs promesses. Par exemple, "Premium Rush", qui fit un brin de buzz cette année, semblait avoir un petit "plus" qui l'aurait démarqué des autres productions du moment. Une fois visionné, il faut admettre qu'on a l'impression d'avoir été abusé, si vous voulez mon avis.

Wilee est sans doute le plus doué des livreurs à  bicyclette de New York. Rompu à l'exercice du slalom entre les véhicules et les piétons qui encombrent la Grosse Pomme, il voit cependant sa vie en danger lorsqu'il prend en charge un mystérieux pli. Dès lors, un individu dangereux ne va avoir de cesse de le pourchasser, afin de mettre la main sur le fameux colis.

Si l'accumulation de scènes de poursuite suffisait à faire un film, ça se saurait (et, au passage, la pitoyable saga des "Taxi" aurait droit de cité au panthéon du septième art). Sans ossature (c'est-à-dire un scénario solide qui soutient l'ensemble du film), on a bien souvent affaire, dans ce registre, à de multiples séquences sensées déclencher la sécrétion d'adrénaline chez le spectateur, à défaut de faire fonctionner ses neurones. "Premium Rush" souffre de ce défaut majeur, il faut bien le reconnaître. On a beau vouloir être indulgent, l'intrigue qui lui a été greffée fait vraiment figure de prétexte et même les allers-et-retours entre le présent et le passé font figure d'artifices peu efficaces.

A la réalisation, David Koepp, scénariste efficace quoiqu'inégal (on lui doit les scripts de "La guerre des mondes" et du quatrième opus de la saga Indiana Jones), s'avère pourtant un honnête artisan. Lui qui avait précédemment commis le très oubliable "Fenêtre secrète" (après le très bon "Hypnose", qui date tout de même de 1999) nous offre une mise en scène rondement menée, sans verser dans l'excès. Les plans sont rapides, fluides, mais restent lisibles. Les scènes de poursuite, qui forment l'essentiel du film, peuvent donc être suivies sans peine. La bonne idée est d'avoir intégré des plans où l'intinéraire suivi par notre cycliste de héros, comme on peut en obtenir sur un smartphone. 

Pour la forme, donc, il y a peu de reproches à formuler à l'encontre de ce film. C'est, comme je le disais plus haut, le fond qui pêche. Regarder un coursier tracer sa route dans New York encombré, cela va bien quelques minutes, mais cela ne fait définitivement pas un film.

Côté interprétation, hormis Joseph Gordon-Lewitt (l'acteur qui monte, depuis "500 jours ensemble", "Inception", "The Dark Knight Rises" et "Looper"), les seconds rôles sont assez médiocrement joués. Par exemple, Michael Shannon (vu dans la série "Broadwalk Empire", et prochainement dans le "Man of Steel" de Zack Snyder), en méchant de service, en fait trop et devient vite peu crédible.

Comme le dit, à un moment du film, le policier à vélo qui poursuit (lui aussi, décidément) le héros, on a envie de dire "Tu sais quoi ? J'en ai marre", avant d'abandonner la course. 

Au final, "Premium Rush" s'il tend à vous dégouter de faire du vélo en ville (a fortiori à New York), n'apporte rien au spectateur, tant son scénario est maigre. Le visionnage doit en être réservé aux admirateurs de Joseph Gordon-Lewitt (et surtout à ses admiratrices, j'imagine).






dimanche 23 décembre 2012

Secrets de famille (2005)


Une fois de plus, je vais commencer ce billet en pestant contre la traduction française du titre du film. En effet, en franchissant la Manche, "Keeping Mum" (dont on notera la subtilité, au vu de l'intrigue) est devenu "Secrets de famille" (tout à fait le genre de titre passe-partout à peine digne d'un roman de Marc Lévy et ne signifiant rien). Ca n'est peut-être qu'un détail, mais ça augure du peu de soin apporté à la distribution d'un film dans l'Hexagone. Examinons ce film de plus près afin de savoir s'il faut ou non se fier à son emballage.

Dans la paisible bourgade de Little Wallop, le révérend Goodfellow, tout occupé qu'il est à rédiger ses sermons, ne s'est pas rendu compte que sa femme était sur le point de céder aux avances (pourtant bien lourdingues) de son professeur de golf, ni que sa fille aînée changeait de petit ami à un rythme affolant, ni que son jeune fils était le souffre-douleur de ses camarades d'école. C'est sans compter l'arrivée d'une nouvelle gouvernante, Grace, sous le toit des Goodfellow.

Il y a peu de suspense et de surprises, dans ce petit film britannique vendu comme une comédie noire. D'ailleurs, si c'est un film amusant, il ne faut pas exagérer : on ne s'aventure que très peu sur le territoire du politiquement incorrect. "Secrets de famille" reste très moral, voire moralisateur, si l'on y réfléchit bien, et est en cela à mille lieues de films où règne l'humour noir, britannique de surcroît. Réalisé par Niall Johnson, surtout connu pour avoir scénarisé "La voix des morts", ce long métrage est mis en scène de la façon la plus académique qui soit, sans plans audacieux ni effets surprenants. Pour le politiquement incorrect, on repassera, donc.

Les acteurs, en tout cas, semblent bien s'amuser : Patrick Swayze (dans un de ses derniers rôles) se moque de son image avec un plaisir évident, tandis que la délicieuse Kristin Scott-Thomas fait une nouvelle fois la démonstration de son talent, face à la grande Maggie Smith (le professeur McGonagall de la saga "Harry Potter", vue aussi dans "Indian Palace", dont je disais le plus grand bien dans ces colonnes) et à Rowan Atkinson, en pasteur distrait (ceux qui l'attendent dans un rôle de farfelu digne de Mister Bean en seront donc pour leurs frais). Notons au passage que ce n'est pas la première fois qu'il incarne un prêtre un peu original : ceux qui ont vu "Quatre mariages et un enterrement" (où il croisait déjà Kristin Scott-Thomas) se souviennent de son apparition.

On s'attend, en commençant le visionnage de "Secrets de famille", à une comédie acide et noire, digne des classiques du genre (je songe à "Arsenic et vieilles dentelles", "Buffet Froid" ou, plus récemment "L'ultime souper"(1)). Il faut avouer qu'on en est loin et qu'on ne s'aventure ici que dans les tons gris.

Un scénario un peu plus solide aurait été salutaire à "Secrets de famille". Le manque d'épaisseur du script lui fait grandement défaut : tout au long de ce film sympathique mais dispensable, on espère qu'il se passe quelque chose, qu'une intrigue majeure surgisse et nous surprenne.
Il n'en est rien, hélas.
Au final, si l'on passe un moment agréable en la compagnie des Goodfellow, il faut reconnaître qu'on les quitte sans regret.




(1) : Ce film mériterait d'ailleurs un petit billet en ces colonnes...

mardi 18 décembre 2012

Los Angeles 2013 (1996)



Pour les amateurs de cinéma de science-fiction, John Carpenter, l'un des derniers artisans indépendants de ce créneau phagocyté par les grands studios, est un mythe vivant. Auteur de nombreux grands classiques du  cinéma de genre (on citera, en vrac, "The Thing", "Christine", "Halloween") le bonhomme n'a jamais cependant reçu dans son pays d'origine la reconnaissance qu'il a en France, par exemple. "New York 1997", sorti en 1981, mettait pour la première fois en scène Snake Plissken, interprété par Kurt Russell, lui aussi rangé dans la catégorie des irréductibles indépendants du septième art, des fortes têtes du cinéma américain. 

En 1995, alors qu'ils finalisaient la sortie DVD de leur "New York 1997", Carpenter et Russell décidèrent d'y donner une suite. Réussissant par on ne sait quel miracle à obtenir des pontes de la Paramount un budget plus que confortable (50 millions de dollars) pour tourner ce qui est plus un remake qu'une suite, il faut bien l'avouer. Malheureusement, le film ne connaîtra pas le succès attendu par ses producteurs et Carpenter renoncera à tourner un troisième opus des aventures de Plissken (ce qui n'est sans doute pas plus mal) et devra oublier les budgets pharaoniques pour retourner à ce qu'il maîtrise le mieux.

Depuis son sauvetage réussi du président américain (dans "New York 1997"), Snake Plissken a disparu de la surface de la Terre. Pendant ce temps, les Etats-Unis sont passé sous la dictature d'un président ultra-conservateur. Tous ceux qui n'entrent pas dans le moule très étroit de la normalité sont déportés vers Los Angeles, séparé du continent depuis que le "Big One", le séisme tant redouté, a dévasté la Californie. Seulement, voilà : la fille du président, en opposition totale avec son fasciste de père, a décidé de filer rejoindre le leader des guerilleros de Los Angeles, sorte de Che Guevara post-apocalyptique, emportant avec elle la clé d'une arme menaçant la planète toute entière. Un seul homme au monde peut récupérer cette boîte noire : le plus "bad-ass" de tous les héros, j'ai nommé Snake Plissken.

Cette nouvelle aventure d'un des anti-héros les plus célèbres du cinéma fantastique reprend, grosso modo, le schéma du premier opus, en les mettant à la mode de l'époque, tant bien que mal. Alors, oui, les effets spéciaux sont assez ratés, il faut l'avouer tout de suite, même pour l'époque (rappelons que Spielberg a sorti peu de temps avant "Jurassic Park", qui redéfinit pas mal de standards en matière d'images de synthèse). Il faut dire que la société chargée des effets spéciaux coula avant d'avoir pu finir le travail : ceci explique sans doute cela.
De même, les seconds rôles sont bien pâles en comparaison du premier opus des aventures de Snake. Stacy Keach n'a pas le charisme de Lee Van Cleef, et Cliff Robertson, sans être mauvais, n'est pas Donald Pleasance. De même George Corraface n'arrive pas à la cheville d'Isaac Hayes et même Steve Buscemi est assez agaçant dans le rôle du perpétuel traître.

A la caméra, le vétéran Carpenter assure, une nouvelle fois, et réussit cependant à faire passer son message dans quelques scènes marquantes : s'en prenant à Hollywood et son industrie (de la vanité des studios à la dictature de l'apparence et du politiquement correct), puis à l'Amérique toute entière (le Président du film ferait passer Mitt Romney pour un dangereux libertaire) et enfin à la civilisation entière. La scène finale est sans doute la plus délectable de toutes. Ecrite par Russell lui-même, elle est suffisamment culottée pour justifier le visionnage du film, d'ailleurs.

Au final, l'impression générale qui ressort de "Los Angeles 2013" est que John Carpenter et Kurt Russell ont joué un joli tour à la Paramount, et à Hollywood en général. Se faisant confier les clés du plus grand magasin de jouets de la planète, tous deux s'éclatent à y rejouer "New York 1997" et à donner de grands coups de tatanes dans la jolie vitrine d'Hollywood, ce qui reste assez délectable, reconnaissons-le.

En ciblant un peu mieux leur scénario, et en évitant l'escalade (parce Snake a droit à des poursuites en voiture, en moto, à un coup de surf en plein tsunami et un petit voyage en deltaplane, ce qui fait tout même beaucoup pour un seul homme, vous en conviendrez), Carpenter et Russell auraient pu réussir parfaitement leur coup et secouer Hollywood avec un film digne de rester dans les mémoires. Un cran en-dessous de son illustre prédécesseur, "Los Angeles 2013" ne vaut pas l'original.
Nostalgie, quand tu nous tiens...



vendredi 14 décembre 2012

Le convoyeur (2004)



Cofondateur de la mythique revue "Starfix", Nicolas Boukhrief a un jour décidé de franchir le pas et de passer derrière la caméra, en passionné du cinéma qu'il est. Après "Va mourire" et "Le plaisir (et ses petits tracas)", son troisième film fut "Le convoyeur", sorti en 2004. A peine rentabilisé en salles, ce film est régulièrement rediffusé, souvent relégué dans les tranches les plus ingrates de la TNT. Méritait-il pareil traitement ? Je n'irai pas par quatre chemins : la réponse est non, "Le convoyeur" aurait du déplacer les foules, lors de sa sortie.

Le héros du film est le mystérieux Alexandre Demarre, qui se fait embaucher au sein de la compagnie La Vigilante, spécialisée dans le transport de fonds, et récemment cible de plusieurs braquages particulièrement meurtriers. Découvrant à la fois des conditions de travail difficiles et des collègues hauts en couleur, Alexandre semble avoir un but secret et attise les curiosités de ses collègues et de ceux qui l'entourent, d'autant plus que La Vigilante est sur le point d'être rachetée.  

On est clairement dans le film dit "de genre", avec "Le convoyeur", et c'est parfaitement assumé par toute l'équipe du film. Passionné de cinéma, Nicolas Boukhrief maîtrise sans peine l'art du récit et réussit à tenir son spectateur en haleine du début du film à son dénouement. Introduisant son histoire par une scène brutale instillant le danger auquel sont exposés les convoyeurs, Boukhrief maintient jusqu'au dernier plan une tension qui met les nerfs du spectateur à rude épreuve. Et si les motivations du héros sont éclaircies aux deux-tiers du film, c'est pour permettre au scénario d'aller jusqu'à son terme, sans concession, avec une efficacité rarement atteinte dans le cinéma français. A plusieurs reprises, dans le film, on songe à Michael Mann ou à Martin Scorcese, par exemple. Mais l'ombre du cinéma social "à l'anglaise" plane aussi sur "Le convoyeur", notamment lors des scènes se déroulant dans les locaux de La Vigilante. Filmant alors à hauteur d'homme, Boukhrief donne de l'épaisseur à ses protagonistes, quitte (parfois) à frôler la caricature.

Pour donner vie à son histoire, Nicolas Boukhrief s'est entouré d'un casting redoutable. Albert Dupontel, décidément trop rare dans le cinéma français, prouve qu'il est un acteur immense en endossant un rôle tout en tension, avare de mots, mais pas inexpressif pour autant. Face à lui, Jean Dujardin, encore aux balbutiements de sa carrière, excelle dans un rôle plus complexe qu'il n'y parait. Et il en est de même pour tout le reste de la distribution, François Berléand et Claude Perron en tête. 

Magistralement interprété par un casting hors pair, techniquement remarquable, "Le convoyeur", tentative d'incursion dans le cinéma de genre, aurait mérité plus de succès à sa sortie. Ce n'est pas un film parfait, loin s'en faut (le final n'est pas exempt de tout reproche, sur le fond, comme sur la forme), mais il vaut amplement une deuxième séance...



dimanche 9 décembre 2012

16 Blocs (2006)



Le thème du flic usé et fatigué, qui doute et dont on doute, a déjà été maintes fois exploité au cinéma. On pourra évoquer, dans des registres très différents"Copland" ou "36 Quai des Orfèvres". Ces films évoquent bien souvent le registre de l'honneur et de la droiture, face à l'adversité, la corruption : bref, le bien contre le mal (une fois de plus). "16 Blocs" donne à Bruce Willis l'occasion d'enfiler le costume du dernier rempart de la Loi, et aussi d'assumer son âge et son statut de vedette vieillissante. 


Alors qu'il n'aspire qu'à un repos bien mérité, l'inspecteur Mosley se voit confier une dernière mission. Il doit escorter Eddie Bunker jusqu'au Palais de Justice, à seize pâtés de maison de là. Seulement, le trajet va être rendu compliqué par les nombreux ennemis de Bunker, dont les plus acharnés sont des collègues de Mosley.

Aux manettes de ce film, on retrouve le vétéran Richard Donner, à qui l'on doit la série "L'arme fatale", ainsi que les premiers "Superman" de feu Christopher Reeve, mais aussi "Les Goonies", "Complots" ou "Prisonniers du temps" : une filmographie très hétéroclite, où blockbusters côtoient des films plus moyens. Tout juste rentabilisé, "16 Blocs" vint une nouvelle fois faire vaciller le statut de Bruce Willis. L'acteur vedette des années 90, porté au panthéon grâce à "Die Hard" et ayant pourtant réussi un virage subtil avec "Sixième sens" et "Incassable", n'est plus aussi bankable qu'il le fut.


A revoir ce film, on comprend vite pourquoi il n'a pas reçu l'accueil que ses producteurs attendaient pour lui. Si l'interprétation est plutôt solide (on a le plaisir d'y retrouver l’excellent David Morse, par exemple, tandis que Mos Def est vite insupportable), que la mise en scène est efficace, il est aisé de mettre le doigt sur ce qui pêche dans ce film : il s'agit du scénario, bigrement banal. En effet, une fois posé le postulat de base (le flic intègre, mais fatigué, doit aller jusqu'au bout pour mener à bien sa mission), il n'y a plus guère de surprises à attendre de "16 Blocs". Louchant de temps à autre vers le buddy-movie, le film est une succession  de moments honorables et de longueurs. 

Réalisé sans ferveur ni fièvre, dépourvu de surprises, "16 Blocs" n'a finalement eu que ce qu'il méritait : un accueil moyen, pour un film qui l'est tout autant. Il peut tout au plus remplir la case du "film du dimanche soir" (cette soirée où l'on est souvent moins regardant sur la qualité de ce que l'on visionne), mais est vite oublié.



mardi 4 décembre 2012

Le Dahlia noir (2006)


S'il est un exercice particulièrement délicat, en matière de cinéma, c'est bien celui de l'adaptation fidèle d'un roman. Si le roman en question est l'oeuvre du bouillant James Ellroy, pape du polar noir, le niveau de difficulté est rehaussé d'un cran, tant l'oeuvre est riche d'intrigues, des tourments et turpitudes qui assaillent les héros, qu'ils soient flics ou gangsters. 

Quand Curtis Hanson se frotta à l'adaptation de "L.A. Confidential", deuxième opus du Quatuor de Los Angeles(1), le succès, tant public que critique, fut au rendez-vous. Il faut dire que James Ellroy lui-même avait participé à la transposition de son roman à l'écran, et que le réalisateur était servi par une pléiade d'acteurs remarquables (de Kevin Spacey à Guy Pearce, en passant par Danny de Vito). Il faut aussi se souvenir que cette adaptation avait pris le parti de trancher dans le vif de l'épais roman, pour n'en garder qu'une partie, évitant ainsi de perdre le spectateur dans les nombreux fils narratifs tissés par Ellroy. Enfin, la réalisation de Curtis Hanson, sans rien avoir de révolutionnaire, sut se mettre au service de l'histoire et de ses personnages.

On aurait donc pu penser que le passage sur grand écran du "Dahlia Noir", qui précède "L.A. Confidential" dans la chronologie des romans, qui plus est menée par le grand Brian de Palma, allait être un grand film. Il n'en fut rien : à sa sortie, le miracle, hélas, ne se répéta pas.

Difficile de résumer l'histoire du "Dahlia Noir", qui mêle en partie les faits d'époque (le meurtre sauvage, en 1947, d'une jeune femme, Elizabeth Ann Short, jamais résolu) et personnages de fiction lancés à la poursuite de l'assassin. Les rivalités entre les deux détectives chargés de l'enquête, tant professionnelles que sentimentales, leur fascination pour Elizabeth (et pour les femmes en général) viendront se mêler à l'enquête, déjà particulièrement épineuse.
Le roman d'Ellroy est tout à la fois un polar noir et un exorcisme pour son auteur. Jamais remis de la mort de sa mère (dont l'assassin ne fut jamais appréhendé), James Ellroy a introduit de nombreux éléments de son histoire personnelle pour construire "Le Dahlia Noir". Je conseille d'ailleurs aux amateurs de roman noir la lecture de "Ma part d'ombre", où il relate l'enquête qu'il entreprit sur le meurtre de sa mère, des décennies après les faits.

Même avec Brian de Palma (qui compte à son actif quelques oeuvres majeures du septième art) aux commandes, "Le Dahlia Noir" fut un échec critique et commercial. Il faut dire qu'on peine à retrouver à l'écran le punch du réalisateur de "Snake Eyes" ou "Body Double". Embourbé dans la reconstitution du Los Angeles de la fin des années 1940, Brian de Palma ne réussit jamais, malgré le talent qu'on lui connait, à donner vie à son histoire. Il faut dire que l'intrigue est relativement complexe et embrouillée, multipliant les allers-et-retours, et finissant par perdre son auditoire.

L'interprétation est pour beaucoup dans le naufrage (de luxe) : Josh Hartnett semble se demander ce qu'il fait là et n'est à aucun moment habité comme le sont les personnages d'Ellroy. Aaron Eckhart (le Harvey Dent de "The Dark Knight") est à peine meilleur et assure juste le minimum syndical.
Scarlett Johansson a beau être ravissante, elle ne déploie pas ici le talent nécessaire à l'interprétation de son rôle. Quant à Hilary Swank, pourtant détentrice de deux Oscar, elle semble s'ennuyer ferme et (surtout) ne pas croire en son personnage. Là où les protagonistes de "L.A. Confidential" semblaient crever l'écran, ceux du "Dahlia noir" font pâle figure, il faut bien le reconnaître.

Comme je le disais en introduction de ce billet, l'adaptation d'un roman est un exercice bien délicat, surtout lorsqu'il s'agit d'une oeuvre aussi dense que peut l'être un roman d'Ellroy. S'il n'y a pas de recette permettant à coup sûr de réussir, la preuve est faite avec "L.A. Confidential" et "Le Dahlia Noir" qu'une transposition ne fait pas l'autre. Si, un jour, d'autres romans de James Ellroy doivent(2) subir le passage au grand écran, espérons que ces adaptations seront plus réussies que ce "Dahlia Noir" très oubliable. 





(1) La série de quatre romans formée par (dans l'ordre chronologique) "Le Dahlia Noir", "L.A. Confidential", "Le grand nulle part" et "White Jazz".
(2) Pour être exact, un autre roman d'Ellroy a fait l'objet d'une adaptation à l'écran : il s'agit de "Lune sanglante" (premier volet de la trilogie Lloyd Hopkins), adapté en 1988  par James B. Harris, sous le titre peu éloquent "Cop", avec le grand  James Woods dans le rôle principal. Ce film mériterait d'ailleurs un billet sur ce blog...