mardi 30 avril 2019

L'homme de sa vie (2006)



Autrefois actrice rigolote et connue seulement sous son prénom (mais ce souvenir n'évoquera sans doute rien chez les plus jeunes d'entre vous), Zabou Breitman est passée de l'autre côté de la caméra pour "Se souvenir des jolies choses"), tâtant à l'occasion du drame. Depuis, elle a réalisé plusieurs autres longs métrages, pas forcément couronnés du même succès que sa première tentative. Parmi eux, "L'homme de sa vie" fut pour elle l'occasion d'offrir à nouveau le rôle principal à Bernard Campan.
Comme tous les ans, Frédéric, sa femme et leurs enfants retrouvent leurs amis dans la maison de famille qu'ils possèdent dans la Drôme. Les vacances sont pour tous les bienvenues. Mais cette année, quelque chose a changé : la maison voisine est occupée par Hugo, charmant célibataire qui affiche ouvertement son homosexualité. A la faveur d'une longue discussion nocturne, Frédéric et Hugo vont apprendre à se découvrir. Commence alors une relation qui va mettre ces hommes et leur entourage à rude épreuve...

J'ai souvent déploré dans ces colonnes la victoire de la forme sur le fond, surtout dans des films où l'action a la primeur. Étonnamment, dans "L'homme de sa vie", alors qu'on aurait pu s'attendre à une réalisation sobre, donnant la part belle aux sentiments (c'est tout de même d'eux qu'il s'agit), ce reproche s'applique aussi. Zabou Breitman, pour raconter les émois et les tourments du personnage incarné par Bernard Campan et de ses proches, use et abuse d'effets purement esthétiques. Ce qui peut séduire en première intention, finit par étouffer l'émotion : dans le cas de "L'homme de sa vie", l'erreur est fatale. 

La belle et troublante histoire que voulait nous narrer Zabou Breitman est rapidement étouffée sous les artifices de réalisation. Torpillant son sujet, la réalisatrice, pour son deuxième long métrage, rate complètement son coup, choisissant de filmer cette histoire comme elle aurait mis en scène un clip vidéo ou un spot publicitaire.

Bernard Campan, qui retrouvera à plusieurs reprises Zabou Breitman (dans "Se souvenir des jolies choses" ou "No et moi", par exemple) incarne son personnage avec finesse, aux côtés d'un Charles Berling toujours impeccable, tandis que Léa Drucker semble en plein désarroi, comme si la pertinence de son rôle lui échappait, à la manière dont son personnage voit son mari lui glisser entre les doigts.

Quelques jolis moments de grâce ne suffisent cependant pas à lever l'impression d'assister à une pure démonstration de mise en forme.

L HOMME DE SA VIE from Horizon International on Vimeo.

jeudi 25 avril 2019

Belle comme la femme d'un autre (2014)


Le coup du triangle amoureux est plus qu'un classique : usé jusqu'à la corde, ce ressort a alimenté tant d’œuvres (cinématographiques ou non) qu'on peine à croire qu'il puisse encore être utilisé. Pourtant, c'est dans ce registre que Catherine Castel, pour son deuxième film après "48 heures par jour", a réalisé "Belle comme la femme d'un autre". Mal reçu par la critique, échec commercial, ce film qui mettait pourtant en scène un joli trio d'acteurs méritait-il la volée de bois vert qui l'accueillit ? 

Avant d'épouser Gabriel qu'elle aime de tout son cœur, Clémence veut être sûre de son choix. C'est pourquoi elle fait appel aux services d'Agathe, tentatrice professionnelle chargée de séduire le futur époux. Dans un cadre paradisiaque, et alors qu'il doit négocier un gros contrat, Gabriel tombe rapidement sous le charme de la belle Agathe, tandis que Clémence déboule, regrettant d'avoir douté de celui qu'elle aime. 
Avec "Belle comme la femme d'un autre", on pourrait, au décor près (quoique), se croire au théâtre de boulevard. Les protagonistes se mentent, se croisent, s'évitent et font de leur mieux (quoique) pour gérer des situations qui leur échappent. Malgré son décor somptueux, ce film reste un vaudeville poussif et souvent pataud, auquel il ne manque finalement que les portes qui claquent et les "Ciel ! Mon mari !". 

Rien de neuf sous le soleil, donc, dans ce "Belle comme la femme d'un autre", qui louche un peu sur le postulat de base de "L'arnacoeur" (avec son agence chargé de tester les maris peu fiables), mais s'avère finalement beaucoup moins réussi (c'est dire !). 

On pourra se réfugier dans l'interprétation et tenter de partager le plaisir des acteurs à incarner ces personnages. Je ne suis pas perdu qu'il y ait là matière à consolation. Olivier Marchal, en ours empêtré dans ses affaires de cœur et son business, semble bien mal à l'aise. Zabou Breitman, en épouse suspicieuse, n'est pas crédible du tout et j'ai tendance à incriminer une direction d'acteurs absente ou presque. Heureusement, il y a la sublime Audrey Fleurot (oui, je suis faible), qui magnétise l'écran dans chacune de ses scènes et fait oublier la faiblesse du film. 

Ce n'est certes pas suffisant pour sauver "Belle comme la femme d'un autre", dont l'insuccès s'explique dès les premières scènes visionnées. Certains échecs sont parfois justifiés.




samedi 20 avril 2019

La vie domestique (2013)




Quand le cinéma s'attache à montrer le quotidien, il se prive en général d'une bonne part de l'audience réservée à des films bigger than life. Cela se comprend : nombreux sont les spectateurs désireux de s'évader et choisissant, en entrant dans une salle obscure, le dernier film à grand spectacle que leur propose leur multiplex préféré. D'autres films, plus intimistes, narrent la vie de gens "normaux" et ne recueillent pas toujours un grand succès. Dans "La vie domestique", Isabelle Czajka s'attachait à un personnage de femme "ordinaire" et à sa vie "normale". Parce qu'Emmanuelle Devos en tenait le premier rôle, j'ai voulu en avoir le cœur net et lui donner une deuxième chance.

Juliette vient d'emménager, avec son mari et ses enfants, dans une zone pavillonnaire cossue de la région parisienne. Là, tout le monde a peu ou prou la même maison, la même existence. Ses voisines lui ressemblent, avec leur quarantaine, leur vie bien réglée de femmes au foyer. Est-elle heureuse ? Juliette en doute, même si, tout autour d'elle, toutes et tous revendiquent ce bonheur.

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, voilà ce que nous propose ce film, qui aurait pu emprunter son titre à l'un des classiques de la littérature. Au cours de ces heures tellement semblables aux précédentes (et, sans doute, aux suivantes), le personnage principale de "La vie domestique" est l'objet de toutes les attentions et de tous les questionnements. Car, bien que sans doute arrivée à ce qu'elle pouvait espérer de mieux, Juliette doute : alors, c'est ça, la vie ? Ce vide, ce rien, finalement ?

Le personnage d'Emmanuelle Devos contemple le vide de sa vie, ses renoncements et ce que beaucoup considèrent comme une existence heureuse. L'est-elle ? Sûrement pas. Le serait-elle, si elle avait fait d'autres choix ? Cela n'est même pas sûr. En transposant le roman  "Arlington Park" (de Rachel Cusk), la réalisatrice Isabelle Czajka dresse ici un constat amer qui pourrait bien coller le bourdon à pas mal de ménagères de moins de cinquante ans (ainsi qu'à d'autres, d'ailleurs). Il se passe peu de choses, dans "La vie domestique" et nombreux sont ceux qui s'y ennuieront, mais ce film a au moins le mérite d'examiner à la loupe un véritable échantillon d'humanité (pas la moins bien lotie, cela dit).

Ne nous mentons pas : la divine Emmanuelle Devos est la meilleure raison de visionner ce film, chronique d'une vie ordinaire, tellement proche de nous, et finalement assez sinistre. A ses côtés, les prestations de Julie Ferrier, Héléna Noguerra et Ludivine Sagnier, comme autant de variations probables de sa trajectoire de femme, paraissent bien pâlottes et ne font que mettre en évidence l'immense talent de l'interprète principale (cela dit, il se peut que je ne sois pas totalement impartial, puisque j'admire particulièrement Emmanuelle Devos).

Si "La vie domestique" est impeccablement réalisé et met en valeur sa merveilleuse actrice principale, on peut cependant lui reprocher son manque de substance. A raconter le vide, c'est ce à quoi ce film s'expose. Pour cette raison, il déplaira à bon nombre de spectateurs mais pourra trouver son public parmi celles et ceux adeptes d'une certaine forme de contemplation.


lundi 15 avril 2019

A deux heures de Paris (2018)


Les plus fidèles et attentifs des lecteurs de ce blog s'en souviendront peut-être : j'avais relayé ici-même l'appel à financement participatif lancé par Virginie Verrier, jeune réalisatrice, pour le film "A deux heures de Paris". Depuis, le projet a abouti et, après quelques cahots, le film a été projeté dans quelques salles obscures, avant de poursuivre sa vie en vidéo (rares furent les cinémas qui l'accueillirent).

Quand Lolo, sa fille de quinze ans, demande à Sidonie, fringante trentenaire, qui est son père, les deux femmes s'embarquent pour la Picardie natale de Sidonie. Là, ils sont cinq hommes qui ont marqué sa vie, tous différents. Lequel d'entre eux est le père de Lolo ? Sidonie le sait-elle, seulement ? En retournant sur les terres de son passé, la mère va se confronter à son vécu. Pour les deux femmes, plus rien ne sera comme avant.

Je vais essayer d'être objectif et d'oublier les désagréments rencontrés lors du financement participatif (milieu dans lequel on rencontre le meilleur, mais surtout le pire). Focalisons-nous sur le film, donc et oublions les aléas et maladresses du projet.

Un road-movie est, d'ordinaire, l'occasion pour les personnages d'un film de se reconstruire ou de découvrir un pan de leur personnalité qu'ils ne connaissaient pas. Cette figure classique du cinéma a été maintes et maintes fois déclinée, avec plus ou moins de bonheur. Dans le cas de "A deux heures de Paris", le peu de route que font les deux héroïnes n'en reste pas moins un voyage intime qui pouvait être riche. La quête du père est ici un prétexte pour emmener les deux héroïnes, la mère et la fille, sur les terres du passé, pour y retrouver ceux qu'elle aima, plus jeune.

C'est surtout la trajectoire à l'envers de Sidonie, qui retrouve sa famille, ses amis, ses amants, qui est l'objet de ce film, tant le personnage de Lolo semble en retrait, comme spectatrice de ce que fait sa mère. Il faut dire qu'Erika Sainte, qui incarne celle-ci, est particulièrement brillante et s'impose d'emblée. Dans son sillage, même si on est content de les retrouver, les seconds rôles paraissent plus pâles.

On songe à Sautet, lors des pérégrinations de l'héroïne, avec ces trajets en voiture et sa façon d'aligner clope sur clope. On y pense d'autant plus fortement que la dite héroïne a sans doute pour modèle la femme libre qu'incarna si souvent la divine Romy Schneider devant la caméra de Claude Sautet. Même si "A deux heures de Paris" est loin des grands classiques réalisés par ce grand monsieur du cinéma français, ce petit film a quelque chose qu'on aurait voulu voir se développer un peu plus. Gageons que sa réalisatrice transformera l'essai.





mercredi 10 avril 2019

Madame Hyde (2017)



Il est des classiques de la littérature qui font régulièrement l'objet d'une nouvelle relecture au cinéma. On ne compte plus les avatars de Dracula, par exemple. Le romande Robert Louis Stevenson, "Le cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde", également au nombre de ces classiques, a fait récemment l'objet d'une nouvelle adaptation, en toute discrétion. Serge Bozon, qui m'avait déjà laissé perplexe avec "Tip top", retrouve ici Isabelle Huppert, lui offrant le rôle titre de "Madame Hyde". Cela ne suffit pas à assurer le succès du film. 

Madame Géquill, timide et peu sûre d'elle, est professeur de physique dans un lycée professionnel et n'a aucune autorité sur ses élèves, qui ne la ménagent pas. Si son mari la soutient, son encadrement professionnel ne lui est d'aucune aide et chaque cours est pour elle un échec. Lors d'une expérience, la pauvre est frappée par un éclair. Dès lors, va se développer chez elle une nouvelle personnalité, tandis que rôde alentour une étrange femme de lumière.

Point n'est besoin d'être expert en littérature pour comprendre que "Madame Hyde" est une énième adaptation du roman de Robert Louis Stevenson, qui fit les beaux jours du cinéma fantastique (souvenons-nous de Spencer Tracy dans ce rôle mémorable, pour n'en citer qu'un exemple). En l'occurrence, c'est plutôt avec de gros sabots que Serge Bozon y va. La frêle Madame Géquill, effacée et timorée, s'illumine lorsqu'elle devient Madame Hyde, quitte à provoquer le pire.
So what, comme disait l'autre ?
Que nous raconte le film de Serge Bozon, que les autres n'ont pas dit ? En s'aventurant sur le terrain social (puisqu'il évoque le parcours scolaire de jeunes en difficulté), on pouvait penser qu'il apporterait une pointe de nouveauté et qu'il ferait de ce matériau quelque chose de neuf. Il n'en est rien, hélas : l'assemblage ne fonctionne pas. Si la faute en incombe essentiellement à un scénario qui tourne en rond et est souvent plein de vide, la mise en scène est aussi à pointer du doigt. 
Quelque chose sonne "faux" chez "Madame Hyde", tant dans la réalisation que dans l'interprétation. Cette impression, plutôt désagréable, d'artificialité laisse le spectateur sur le côté et l'empêche d'embarquer dans l'histoire proposée. Les comédiens donnent l'étrange impression d'être livrés à eux-mêmes, et de ne pas adhérer à l'histoire qu'ils interprètent. Malgré son immense talent, j'avoue avoir été surpris qu'Isabelle Huppert soit récompensée à Locarno pour ce rôle, tant il en est d'autres ou elle fut brillante. Derrière elle, il faut se rabattre sur les plus jeunes acteurs de la distribution pour trouver un (petit) motif de satisfaction, tant les seconds rôles sont peu crédibles (la palme du jeu "à côté de la plaque" revient sans conteste à Romain Duris, pour le coup).

Errant entre le désarroi d'une professeure en détresse, les difficultés de la cité et la touche de fantastique (qui finalement n'apporte pas grand chose), "Madame Hyde" est un film bancal, auquel on ne croit guère. Ce n'est pas avec lui que je vais me réconcilier avec le cinéma de Serge Bozon. D'ailleurs, je ne suis pas sûr d'en avoir envie.






vendredi 5 avril 2019

Voyez comme on danse (2018)




Après une jolie carrière d'acteur, commencée avec ses copains du Splendid et ayant bifurqué vers des horizons inattendus (souvenez-vous de "Tenue de Soirée"), Michel Blanc s'est affirmé en tant que scénariste, dialoguiste et réalisateur. Il a fait bien du chemin, depuis "Marche à  l'ombre" et on se rappelle de "Embrassez qui vous voulez", film choral où le temps des vacances était celui des règlements de compte et des confrontations pour ses personnages hauts en couleur. L'an dernier, Michel Blanc a eu l'idée de donner une suite à ce film plutôt sympathique, avec "Voyez comme on danse". Cette fois-ci, ça a moins bien fonctionné, du moins dans les salles obscures.

Vincent, le mari de Lucie, est persuadé d'être suivi en permanence et devient paranoïaque. Sa maîtresse, Serena, commence à douter de ses promesses. Son fils Alex apprend qu'Eva, sa petite amie de dix-sept ans, est enceinte de lui. Véro, la mère d'Eva, a bien du mal à joindre les deux bouts. De son côté, Elizabeth, la riche amie de Véro et de Lucie, découvre que son mari, Bertrand, a compromis l'entreprise qu'elle possède. 
Dans le petit groupe d'amis, c'est à qui aura le plus de soucis, on dirait...

Si "Embrassez qui vous voulez" était adapté d'un roman de Joseph Connolly, la suite qu'a voulu lui donner Michel Blanc ne fait qu'en reprendre les personnages, du moins une partie de ceux-ci. Exit, pour cet opus, ceux incarnés par Denis Podalydès ou Vincent Elbaz, par exemple. Donc, on prend (presque) les mêmes et on recommence à montrer les défauts des personnages qui, au contact les uns des autres. L'idée est généreuse et pourrait donner quelque chose d'amusant, si l'exercice était autre chose qu'un décalque du premier opus.


Quinze ans plus tard, les personnages de "Embrassez qui vous voudrez" ont vieilli, mais ont finalement assez peu changé. Paradoxalement, si l'on est assez content de les retrouver (pour ceux qui reviennent), la mécanique qui sous-tend le film a moins bien vieilli que ses interprètes. Ce qui fonctionnait avec "Embrassez qui vous voudrez" est plus bancal, quinze années après. Et, surtout, ce qui n'y fonctionnait qu'à moitié ne marche plus du tout.

Heureusement, il y a les acteurs, et particulièrement Carole Bouquet, décidément très à l'aise avec ce que lui sert Michel Blanc, qui illumine chacune des scènes dans lesquelles elle apparaît. J'ai trouvé moins convaincante les prestations, un peu trop poussées, de Jean-Paul Rouve ou de Karin Viard, mais cela relève sans doute d'une sensibilité personnelle. 


On se délectera également de quelques excellentes saillies verbales, nous rappelant le grand talent de dialoguiste de Michel Blanc, qui font toujours mouche, même si certaines scènes semblent être là pour les amener, alors que ce devrait souvent être l'inverse. 

Alors, cette suite était-elle une fausse bonne idée ? S'agit-il d'un demi-échec ou d'une semi-réussite ? A l'instar du verre à moitié plein ou à moitié vide, chacun peut se faire sa propre appréciation, en visionnant ce film. Qui sait si Michel Blanc proposera, dans quelques années, un troisième opus ?