jeudi 31 janvier 2013

Les aventures du Baron de Münchausen (1988)



Certains cinéastes ont un univers à part, qui n'appartient qu'à eux. Terry Gilliam fait partie de cette catégorie. Cet ancien membre des géniaux Monty Python, au sein desquels il faisait déjà preuve d'une créativité propre (on se souvient tous, je pense, des animations émaillant "Sacré Graal"). Lorsqu'il commença sa carrière "solo" de réalisateur, avec "Jabberwocky", "Bandits bandits", puis "Brazil", on put avoir un aperçu de la loufoquerie et de l'inventivité qui était la sienne. A n'en pas douter, "Les aventures du Baron de Münchausen", vibrant pladoyer en faveur de l'imaginaire écrit en 1785, était destiné à être transposé sur grand écran par lui(1). 
Dans une ville assiégée par les Turcs et sur le point de céder, une troupe de théâtre met en scène les aventures du Baron de Münchausen. Les acteurs sont interrompus par l'intervention d'un vieil homme, qui dit être le fameux Baron. Très vite, il raconte sa version de l'histoire, dans laquelle, avec ses compagnons d'aventure, il a été à l'origine de la guerre contre les Turcs.

Tout au long du film, la réalité et l'imaginaire s'entrelacent, au point que, souvent, on hésite sur ce que l'on regarde : s'agit-il de ce que nous narre le Baron, de la réalité ou des deux ? Malgré un budget plus que conséquent (et moult dépassements), Gilliam ne se laisse à aucun moment déborder par son sujet et maîtrise de bout en bout son sujet. Mené par la main par une petite fille plongée dans les horreurs de la guerre, le spectateur est emporté du début à la fin de cette fable tourbillonnante, comme sur un grand huit de fête foraine.

Esthétiquement superbe, qu'il s'agisse des décors ou des costumes, "Les aventures du Baron de Münchausen" témoigne une fois de plus, après le très barré "Brazil" de l'univers graphique unique de Gilliam. sans cesse à la lisière de la réalité et du conte, le film s'autorise toutes les fantaisies, au nom de l'imaginaire.
Magnifiquement réalisé, il est également remarquablement interprété : John Neville, dans le rôle titre, a une classe et un charisme fou, et est pour beaucoup dans le fait qu'on adhère à l'histoire (pourtant totalement abracadabrante) du Baron de Münchausen. Autour de lui, gravitent des seconds rôles endossés avec délice par (sans ordre de préférence) Eric Idle, Robin Williams, Jonathan Pryce (pour les habitués des films de Terry Gilliam) ou la toute jeune Sarah Polley, le vétéran Oliver Reed ou la délicieuse Uma Thurman (dont l'apparition reste mémorable).

Malgré toutes ces qualités, ce film fut un échec monumental lors de sa sortie. S'agissait-il d'une oeuvre trop exigeante, demandant à ses spectateurs de laisser leur imaginaire les porter ? Toujours est-il que "Les aventures du Baron de Münchausen", même s'il n'est pas exempt de quelques défauts (très mineurs à mes yeux) s'en vint rejoindre le nombre des oeuvres "maudites" de Terry Gilliam, cinéaste hors-normes.

Suite à ce film, Terry Gilliam travailla un temps sur l'adaptation de "Watchmen", avant de ranger cette transposition au rayon de ses (nombreux) projets avortés(2), puis tourna "Le Roi Pêcheur", son premier film américain, avant de livrer "L'armée des douze singes" (qui lui valut -enfin !- un beau succès populaire). Il n'empêche que l'on ne peut que regretter l'insuccès des aventures du Baron de Münchausen. Film majeur dans la filmographie de Terry Gilliam, cette ode à l'imaginaire mérite d'être vue et revue (par les petits et les grands, d'ailleurs)




(1) : même si les aventures du Baron furent adaptées très tôt au cinéma, notamment en 1911 par Georges Méliès.
(2) : le plus célèbre de ces projets étant évidemment son adaptation de "Don Quichotte"

lundi 28 janvier 2013

L'autre monde (2010)


Régulièrement, on peste contre la frilosité du cinéma français, désespérant par son manque d'audace et d'inventivité. Il y a cependant, de temps à autre, quelques tentatives audacieuses de s'écarter des sentiers battus (et rebattus), pour s'aventurer dans le territoire du film de genre, voire du fantastique, avec plus ou moins de bonheur. Ce n'est pas pour autant que ces essais sont couronnés de succès. "L'autre monde", réalisé par Gilles Marchand est une de ces incursions. Bien qu'ayant été projeté au Festival de Cannes en 2010, en séance spéciale mais hors compétition, ce film n'a pas déplacé les foules (malgré une affiche des plus aguicheuses, vous en conviendrez).

Durant les vacances d'été, Gaspard, une jeune garçon comme de nombreux autres, partage son temps entre ses amies et sa copine, Marion. Lorsqu'il rencontre la belle et ténébreuse Audrey, sa vie va basculer. La jeune femme, adepte d'un univers virtuel nommé "Black hole", ne semble chercher que la mort. Attiré par Audrey, Gaspard va la retrouver, de l'autre côté du miroir, dans cet univers virtuel.

Pour son second long métrage après "Qui a tué Bambi", Gilles Marchand, comparse habituel de Dominik Moll (à qui l'on doit le troublant "Harry, un ami qui vous veut du bien"), prend cette fois le rôle de réalisateur et entraîne le spectateur dans ce qui se veut un thriller sulfureux. Et, pour rehausser un peu plus la barre, le choix de traiter d'un jeu sur réseau comme du siège d'une partie de l'intrigue est diablement ambitieux.

A l'arrivée, il faut cependant reconnaître que le résultat n'est pas à la hauteur des espérances générées par le pitch. Le scénario de "L'autre monde" tourne vite à vide et nombreuses sont les séquences destinées à faire du remplissage. Doté d'une bonne idée de départ, Gilles Marchand n'arrive à aucun moment à nourrir son film avec un scénario suffisamment épais. C'est dommage, car ce film a pourtant quelques qualités. 

En premier lieu, les séquences se déroulant dans l'univers virtuel de "Black Hole", sorte de "Second Life", sont absolument remarquables, d'un point de vue esthétique et c'est le plus bel atout du film, à mes yeux. Bien qu'utilisant des décors minimalistes, le monde de "Black Hole" est doté d'une identité propre qu'on ne fait hélas qu'entrevoir. 

Les interprètes font de leur mieux et il faut leur reconnaître un certain talent. Louise Bourgoin, fraîchement échappée de son rôle de miss météo de Canal+, endosse parfaitement celui d'Audrey, ajoutant à sa remarquable plastique un charme  vénéneux. Melvil Poupaud et Grégoire Leprince-Ringuet s'acquittent eux aussi de leur tâche avec talent.

Mais, comme je le disais plus haut, il est regrettable que ces interprètes soient au service d'une histoire relativement plate, où l'on attend souvent qu'il se passe quelque chose, que survienne un évènement capable de pimenter l'intrigue. Faute de cela, il faut se contenter de l'esthétique du film. C'est peu, vous en conviendrez.

Encore une fois, et il faut croire que c'est symptomatique du cinéma français, malgré une idée de base intéressante, c'est la déception qui est au rendez-vous.


mardi 22 janvier 2013

King Guillaume (2008)



Après la séparation de la bande des Robins des Bois, en 2006, ses membres se sont lancés avec plus ou moins de bonheur dans le cinéma. Jean-Paul Rouve a oscillé entre comédie et film de genre (avec, par exemple, "Sans arme, ni haine, ni violence", qu'il réalisa et "Podium"). Marina Foïs a alterné le bon (avec, notamment, "Polisse") et le moins bon ("Bienvenue au gîte", chroniqué récemment dans ces colonnes, fait partie du lot), Maurice Barthélémy, Pascal Vincent et Elise Larnicol, même s'ils se font plus discrets, sont parfois présents devant et derrière la caméra.
Le dernier larron de la bande, Pierre-François Martin-Laval, alias Pef, ne s'est pas contenté de jouer dans les films des autres. Certes, on l'a vu dans "La tour Montparnasse infernale", ou dans le médiocre "Les meilleurs amis du monde". Mais il est également passé derrière la caméra, avec tout d'abord "Essaye-moi", puis "King Guillaume". Ces deux films (en attendant le prochain, "Les Profs", tiré de la bande dessinée du même nom) sont empreints de la même loufoquerie, mais ne connurent pas le même succès lors de leur sortie. 

Guillaume, conducteur de petit train pour touristes, et sa femme Magali, joueuse de tuba, vivent heureux comme au premier jour de leur amour, même si leur vie est modeste. La grossesse de Magali suffit à leur bonheur et, quand un vieil homme prend contact avec Guillaume pour lui annoncer qu'il est l'héritier du trône de l'île de Guerrelande, la situation se complique. Entre les rêves de fortune de Magali et les hésitations de Guillaume, les cinq (!) habitants de Guerrelande vont tout faire pour que le jeune homme accepte de devenir Roi de leur île, qui n'est pourtant qu'un caillou rocheux dénué de tout intérêt.

Si "Essaye-moi" reçut un joli succès à sa sortie, son deuxième film, "King Guillaume", qui pouvait pourtant se targuer d'un joli casting, n'eut pas l'heur d'attirer les foules. Pourtant, cette comédie mettait en avant la présence de Florence Foresti, l'humoriste en vogue à l'époque.  Ce fut, à mon avis, une erreur : la comédienne n'est clairement pas ce qu'il y a de meilleur dans cette comédie. Florence Foresti est sans doute une excellente humoriste et maîtrise à merveille le one-woman-show, il faut bien avouer qu'elle a encore du chemin à faire en tant qu'actrice.
Par contre, c'est toujours un plaisir de revoir Pierre Richard, décidément trop rare à l'écran (j'avais déjà dit tout le bien que je pensais de lui dans ce billet-là), et qui n'a rien perdu de sa fantaisie avec l'âge. Les autres comédiens endossent également avec bonheur les costumes des loufoques habitants de Guerrelande.

Pef a pour ses personnages une véritable tendresse, cela transparaît tout au long du film. Se moquant gentiment de leurs travers, il n'est cependant jamais cruel. En cela, "King Guillaume" est une comédie "gentille", ce qui fait parfois du bien.

Cela dit, le scénario reste plutôt maigrichon et ne réserve pas vraiment de surprises. D'ailleurs, le film est excessivement court. C'est sans doute le plus gros défaut du film, défaut d'ailleurs inhérent à bien des comédies, si vous voulez mon avis. Passé cela, on peut considérer que "King Guillaume" est un petit film et se satisfaire de ce qu'il a à offrir. Si l'on est client de l'humour de Pef (autrefois connu sous les traits de Pouf le cascadeur, par exemple), à savoir une gentille loufoquerie un brin lunaire, on passera un bon moment devant cette fantaisie. Par contre, pour peu que le spectateur soit plus exigeant, et recherche une histoire plus solide, il sera déçu, à n'en pas douter. C'est sûrement ce qui fit défaut à ce film lors de sa sortie dans les salles obscures...

Souvent burlesque, toujours fantaisiste, mais jamais vulgaire, "King Guillaume" est une comédie gentille, mais bien peu épaisse. Si ce film n'a rien d'incontournable, il n'en méritait pas pour autant l'échec qui fut le sien. 




mercredi 16 janvier 2013

The good heart (2009)



C'est aujourd'hui d'un film aux multiples nationalités dont je vais parler. "The good heart", sorti en 2009 dans l'indifférence générale, est en effet français, américain, islandais, danois et allemand. Son réalisateur, Dagur Kari, dont c'est le troisième film (et dernier à ce jour) a reçu plusieurs nominations (notamment au Festival de Deauville) pour "The good heart". Porté par deux acteurs reconnus ou en passe de l'être, Brian Cox et Paul Dano, ce film n'a pourtant pas rencontré le succès public.

Jacques, patron d'un modeste bar, dont le coeur a déjà à plusieurs reprises menacé de le lâcher définitivement, voit un jour débarquer Lucas, jeune garçon marginal. Il l'embauche et lui apprend les rudiments de son métier. Un soir, April, une hôtesse de l'air éméchée, franchit la porte du bar. 

C'est de coeur, dont il s'agit, dans "The good heart", qu'il s'agisse du myocarde défaillant de Jacques, ou du siège des émotions de Lucas. Dans ce film atypique, se déroulant presque exclusivement dans un lieu clos, deux personnages qui n'avaient rien en commun vont s'affronter, s'apprivoiser, puis s'apprécier. Interprétés par deux acteurs magnifiques (Brian Cox, plus connu du grand public pour son rôle de méchant dans "X-Men 2" et Paul Dano, repéré dans "Little Miss Sunshine" et vu récemment dans "Cowboys et envahisseurs", par exemple), ces deux personnages justifient à eux seuls le visionnage du film. Au cours de savoureux dialogues et de silences tout aussi éloquents, les deux protagonistes de "The good heart" en disent long sur les rapport humains.

Ce long métrage présente cependant bien d'autres raisons d'être vu. L'ambiance chaleureuse sans être mièvre qui s'en dégage, par exemple, mérite qu'on s'y attarde.Sous le prétexte de discussions autour d'un verre, dans un modeste bar un peu crasseux, on sourit, on rit parfois, on est ému, on verse une larme. S'il peut paraître absurde à bien des spectateurs, "The good heart" est une fable sur les rapports humains qui mérite d'être vue. 
Enfin, cerise sur le gâteau, la bande originale accompagne dignement l'ensemble, sans se montrer envahissante. 

Sans être un véritable chef d'oeuvre, "The good heart" méritait plus que le simple succès d'estime qui lui fut réservé à sa sortie. Ne serait-ce que pour ses deux acteurs principaux, il mérite d'être vu et révélera ses autres qualités...


dimanche 13 janvier 2013

Les gens heureux n'ont pas d'histoire

Ceux qui lisent régulièrement ce blog savent qu'il ne parle pas que de cinéma, et qu'on y trouve de belles (enfin, je trouve) images et également des nouvelles, que je propose dans les concours glanés ça et là sur la Toile. L'une de mes dernières productions n'eut pas la chance d'être couronnée de succès lors de la remise du prix Vedrarias de Verrières-le-Buisson. Mais, comme "à quelque chose malheur est bon", je vous la livre.
Bonne lecture !


Quand j'ai sorti mon revolver, l'homme allongé à mes pieds a hurlé. Ça, j'y suis habitué. Ce qui m'a plus surpris, c'est ce qu'il a bafouillé, alors que je dirigeais le canon vers sa bouche.
- Arrêtez ! C'est moi ! Moi qui vous ai fait appel à vous.
J'ai marqué un temps d'arrêt. On ne me l'avait jamais faite, celle là.
Très vite, mes réflexes professionnels ont repris le dessus. Mon index a commencé d'appuyer sur la gâchette. Il a hurlé :
- Arrêtez ! Je vous jure ! Maximus Leo ! C'est moi !
Là, j'ai relevé mon arme. La stupeur devait se lire dans mes yeux. Il a très vite enchaîné.
- C'est moi qui vous ai commandé ma propre exécution, mais j'ai...changé d'avis. On arrête tout...s'il vous plaît.
- Mais...ai-je tenté de rétorquer.
Il s'est redressé, s'est assis sur le sol et, les bras levés, a fait un signe d'apaisement.
- Je sais, c'est dingue...
Mon flingue toujours en main, j'ai fouillé dans la poche intérieure de mon grand manteau. J'en ai sorti mon téléphone et, sans quitter l'homme des yeux, j'ai composé un numéro.
- Ne bougez surtout pas.
Il a hoché la tête tandis que je portai le combiné à mon oreille. A ce moment, une agaçante sonnerie s'est faite entendre dans la ruelle. Malgré moi, j'ai soupiré.
- C'est le mien. Je décroche ? A-t-il dit en portant la main vers sa poche.
J'ai raccroché et ai baissé mon arme.
- Il va me falloir quelques explications, ai-je déclaré.

* * *

Je me nomme Nathan et j'ai choisi de mourir. Je crois que j'ai fait une belle connerie, d'ailleurs.
Il faut dire que j'avais touché le fond du trou, quand j'ai pris cette décision. Maintenant que je suis assis dans cette ruelle trempée de pluie, sous le regard furieux d'un tueur professionnel, je mesure toute l'ironie dont est capable le Destin. Il s'en est fallu de peu que je finisse là, entre deux sacs poubelles éventrés, une balle dans la bouche.

Ma chute a commencé il y a bien longtemps, me semble-t-il. Comme tous mes semblables, j'ai été posé très tôt sur le tapis roulant et avalé par la machine destinée à nous modéliser, nous utiliser, nous digérer et, à la toute fin, nous oublier. J'ignore, par contre, ce qui m'a valu de prendre conscience de cette destinée commune, et encore plus pourquoi la révolte et le dégoût m'ont envahi.
Enfermé dans une vie préfabriquée, courant droit au mur, j'aurais du me résigner, comme les autres, imposant à mon esprit le silence à grands coups d'anxiolytiques, d'antidépresseurs et de séances de coaching. Chaque soir, devant mon téléviseur, j'ingurgitais ma dose de mauvaises nouvelles venues des quatre coins d'un monde en feu, m'enfonçant un peu plus dans l’écœurement. Puis, après avoir gobé une pilule destinée à m'assurer un sommeil sans rêves, sans angoisses, sans culpabilité....

J'ai pris ma décision il y a trois semaines, au petit matin, après une nuit en enfer.
La veille au soir, en rentrant vers mon studio meublé par une grande enseigne suédoise, je suis allé m'engouffrer dans le métro bondé, comme chaque soir. Les odeurs m'assaillaient, faites de crasse, de transpiration, de miasmes divers, et je n'avais qu'une hâte : m'écrouler sur mon futon, jusqu'au réveil, avant d'entrer une nouvelle fois dans la danse.

Une clocharde est entrée dans la rame de métro, précédée par une odeur de crasse et d'alcool, et a commencé à interpeller les passagers :
- Regardez-moi ces bons citoyens, bien nourris, bien logés, bien blanchis !
La plupart des regards se sont baissés, les plus forts d'entre nous continuant de fixer un hypothétique point situé devant eux. Elle a néanmoins continué de s'en prendre à ceux qui l'entouraient, titubant plus qu'elle ne marchait.
Le métro s'est arrêté un peu brutalement, comme souvent. Elle a manqué de tomber et a vociféré de plus belle, déversant ses flots de haine contre la société qui la méprisait si ouvertement. C'est alors que deux vigiles sont entrés et se sont dirigés droit vers elle. Le plus grand d'entre eux a posé la main sur son épaule avant qu'elle ne se rende compte de leur irruption. Elle s'est retournée et les a insulté alors qu'ils l'entraînaient vers l'extérieur du wagon. Comme elle se débattait, le second vigile a brandi sa matraque. Il y a eu un choc sourd et la vieille s'est écroulée, en pleurs, aux pieds des deux gorilles. Elle a supplié, mais ils l'ont cependant évacuée, sans ménagement.
A l'intérieur du wagon, on a senti comme une onde de soulagement, puis la rame est repartie, comme si on l'avait soulagée d'un poids.

La dernière image de la vieille femme, traînée sur le quai du métro, en larmes, m'est revenue en pleine nuit, m'arrachant du sommeil chimique où je venais de m'enfoncer. Une vague de dégoût m'a envahi, me vrillant les tripes et me pliant en deux.
Je me suis levé péniblement, et me suis traîné vers la salle de bain, pour me laver le visage. En relevant la tête,la vision de mon visage a entraîné une nouvelle nausée. Je ne valais pas mieux que tous ceux qui avaient laissé faire, qui avaient soupiré d'aise lorsque la vieille avait été chassée de leur wagon. Nous étions tous coupables de la même lâcheté, du même égocentrisme. Nous avions tous foulé aux pieds notre humanité.
Je n'ai pas pu fermer l’œil de la nuit, tant j'étais écœuré de tout, de tous et de moi-même. Quand l'aube est arrivée, ma décision était prise : cette vie était vaine, autant en finir le plus tôt possible. Par contre, je ne sais pas pourquoi l'idée m'est venue de faire appel à un professionnel. Sans doute était-ce l'envie d'échapper, pour une fois, à la banalité, à moins que ce ne soit celle de ressentir le frisson de la peur.

Ça a été assez facile de trouver quelqu'un capable de faire l'affaire. Nous vivons une époque formidable : tout est à portée de clic, le meilleur comme le pire. En utilisant quelques mots clés, un bon moteur de recherche et un pseudonyme tiré d'un vieux film, j'ai facilement localisé l'homme capable de régler tous mes problèmes d'un seul coup.
En prenant les précautions nécessaires, nous sommes entrés en contact et il a accepté de liquider quelqu'un pour moi. Bien entendu, je n'avais pas précisé que le « quelqu'un » en question n'était autre que moi.

Le prix d'une vie était estimé à quelques milliers d'euros, payables pour moitié à la commande, par virement sur un compte localisé dans je ne sais quel paradis fiscal. En quelques coups de souris, j'avais donc versé l’acompte, réalisant à peine que je mettais en branle une machine prête à me broyer. Ça m'a même fait sourire, l'idée que je ne serai plus là pour payer le solde.
Et puis je me suis dit que je m'en fichais, comme du reste, d'ailleurs.

J'ai continué à vivre, normalement, ne sachant pas trop quand le tueur viendrait me libérer de cette existence. Et c'est tout l'inverse qui s'est produit.

Ça m'est tombé dessus soudainement, en rentrant du travail, dans le métro du soir encore une fois. La tête baissée, je traversais à longues enjambées la galerie pavée de faïence pour aller me faire une place dans le train surchargé, comme chaque soir à la même heure, à quelques minutes près. La tête vidée par une journée de travail, je suivais le troupeau, n'aspirant à rien d'autre qu'à la chute finale que j'attendais. La rame de métro était bondée, comme chaque soir à cette heure. Les corps se touchaient avec dégoût, essayant malgré tout d'éviter le contact.

J'ignore pour quelle raison le train freina brusquement, provoquant dans la masse humaine une ondulation brutale. Ma main se porta, par réflexe, vers la barre de métal pour la serrer et éviter la chute. Dans la bousculade qui suivit, je sentis sur mes doigts le doux contact d'une main, se raccrochant elle aussi à l'axe de soutien.
Alors que le wagon était agitée d'une longue secousse, je sentis sur ma peau la pression de la main de l'autre et cherchai instinctivement à en identifier le porteur dans la cohue. Un regard bleu-vert s'accrocha au mien, tandis que le métro reprenait une allure normale. Nos mains ne relâchèrent cependant pas la barre, tandis que nous nous découvrions. Vêtue d'un long manteau brun, elle portait une écharpe qui lui dissimulait le bas du visage. Cependant, je savais qu'elle me souriait tandis que sa main continuait de toucher la mienne.

J'ignore combien de temps nous sommes restés l'un face à l'autre, sourire aux lèvres. Il a fallu qu'une bande d'étudiants bruyants entre dans le wagon pour que le temps reprenne son cours. Nous sommes descendus à l'arrêt suivant et nous sommes réfugiés dans un café. Et, enfin, nous nous sommes parlé, longuement, jusqu'à ce que vienne l'heure de nous séparer, jusqu'à la prochaine rencontre, jusqu'au prochain rendez-vous.

Alors qu'elle tournait les talons, j'ai capturé une dernière bouffée de son parfum et m'en suis empli les poumons. Je l'ai regardé s'éloigner, le cœur vibrant, comme paralysé et insensible au monde extérieur. Avant de passer le tournant, elle s'est retournée, et m'a souri, provoquant dans ma poitrine une déflagration.
Il m'a fallu quelques minutes pour revenir à la conscience et reprendre mon chemin habituel.
Quand je suis sorti du métro, l'air semblait plus léger, comme moins encombré de pollution. Quelques heures plus tôt, j'aurais trouvé cette situation totalement stupide et, pour tout dire, incroyable. Seulement, ça m'était arrivé, sans prévenir, comme si le Destin s'était fait un malin plaisir de contrarier mes plans.
Les pensées se bousculaient dans ma tête, j'avais mille choses à entreprendre, mille envies à satisfaire, maintenant. Moi qui avais décidé de mourir, je me découvrais une féroce envie de vie.

En arrivant au bas de mon immeuble, le cœur battant la chamade, je n'avais qu'une idée en tête : contacter le plus rapidement possible le tueur que j'avais engagé, pour arrêter la machine infernale que j'avais mis en marche. Alors que je fouillais dans mes poches à la recherche de mes clés, une forme bondit sur moi sauvagement, avant de m'entraîner dans la ruelle proche. Un instant, j'ai pensé être victime d'une agression avant de comprendre ce qui se passait. Quand il a sorti un revolver et l'a pointé vers ma bouche, j'ai hurlé :
- Arrêtez ! C'est moi !

* * *

Je fais peut-être un sale boulot, mais dans ma branche, le client est roi. Après avoir écouté son histoire, j'ai décidé de le croire. Après tout, il avait payé rubis sur l'ongle et, s'il voulait changer d'avis, libre à lui. Je l'ai laissé dans la ruelle, assis dans les ordures et suis rentré chez moi.
En entrant dans ma voiture, je ne pouvais m'empêcher de penser à ce que m'avait conté ce client pas comme les autres. Un sourire s'est dessiné malgré moi sur mes lèvres. Je suis sorti du véhicule et l'ai laissé sur le parking. C'était décidé : dorénavant, je prendrai le métro. 

vendredi 11 janvier 2013

Les animaux amoureux (2007)



Une fois n'est pas coutume, c'est dans le domaine du documentaire que je vais m'aventurer pour ce billet. Plus précisément, c'est d'un documentaire animalier dont je vais parler. "Les animaux amoureux", le film de Laurent Charbonnier consacré aux rites de séduction du règne animal, sorti en 2007 sur les écrans, n'a en effet pas eu le retentissement qu'on en attendait. Loin des scores obtenus par les documentaires chapeautés par Jacques Perrin (notamment "Océans" ou "Le peuple migrateur"), "Les animaux amoureux" n'a attiré que 140 000 spectateurs en France. C'est peu, en regard des millions que drainent certains films de cette catégorie.

Partout dans le monde, depuis la nuit des temps, les animaux paradent, chantent, crient, se battent pour conquérir l'être convoité. Pour séduire, s'accoupler et perpétuer l'espèce, tous suivent des rituels parfois surprenants, souvent touchants, qui ne peuvent laisser indifférent. 

Une chose est sûre, en visionnant ce documentaire. L'ambition est toute autre que celle qui animait les créateurs de "Microcosmos", et les moyens ne sont pas les mêmes. Et le thème pour le moins original (et inédit) qu'aborde "Les animaux amoureux" n'est pas ce qui le dispose le plus à attirer le grand public (je vous rassure néanmoins : nulle image ne peut ici choquer les esprits les plus prudes). Alors, pourquoi les amours animales n'ont pas séduit les spectateurs, comme le firent les manchots de "La marche de l'empereur", par exemple ?

Il faut avouer que quelques choix pris par Laurent Charbonnier (qui avait fait ses premières armes de metteur en scène avec "Veaux, vaches, cochons, couvées") jouent en défaveur de ce documentaire. Par exemple, hormis un texte d'introduction et une conclusion (dits par la charmante Cécile de France), il n'y a nulle voix off. Le spectateur, assis aux premières loges des parades et étreintes animales, ne sait pas toujours ce qui se passe, ni qui en sont les protagonistes. A plusieurs reprises, au cours du visionnage de ce film, je me suis demandé quel pouvait bien être tel oiseau ou tel autre, dont le chant, les couleurs et les rites m'étaient tout à fait inconnus. A mon goût, il eut été louable de citer, au gré de leurs apparitions, les protagonistes de ce film. Certes, tout ce petit monde est cité au générique de fin (c'est la moindre des choses !), mais c'est un peu tard. C'est d'autant plus agaçant que le documentaire explore les quatre coins du globe, sans souci de transition. On passe ainsi du plus européen du cerf aux impalas d'Afrique, avant de croiser de sublimes volatiles sans savoir s'ils vivent près de chez nous ou de l'autre côté de la Terre.
Enfin, la réalisation, bien que reposant sur une collecte sans doute gigantesque d'images, est parfois maladroite et se contente de suivre les ébats amoureux, sans magnifier le règne animal comme on l'aurait voulu.

Voilà pour les défauts du film, qui ne doivent pas cacher ses qualités. Les images, même si elles sont souvent répétitives et pas assez mises en valeur, sont tout de mêmes fort agréables et donnent un jour nouveau sur les rituels animaux (qui les humanisent, d'ailleurs). Deuxième point fort, la musique de Philip Glass accompagne superbement ce voyage erratique en territoires sauvages (mais finalement pas tant que cela). Enfin, l'idée même qui sous-tend le film, à savoir porter sur grand écran cet instinct qui pousse nos voisins les animaux à séduire (on pourrait presque parler d'aimer) ne peut que rendre la faune plus touchante et plus attachante. En cette époque de mépris de Dame Nature, voir "Les animaux amoureux", même s'il s'agit d'un documentaire de plus, peut être salutaire.  



lundi 7 janvier 2013

Les meilleurs amis du monde (2009)


Imaginez que vous êtes sur la route, vers un week-end entre amis s'annonçant délicieux. Imaginez que les amis qui vous attendent vous appellent au téléphone, pour prendre de vos nouvelles. Imaginez qu'ils actionnent la touche "rappel", involontairement, et que vous les entendiez parler entre eux. Imaginez qu'ils disent ce qu'ils pensent réellement de vous, à savoir des horreurs. Le week-end, vous en conviendrez, s'annonce finalement moins agréable. 
C'est ce qui arrive à Jean-Claude et Mathilde, invités chez Max et Lucie, leurs (supposés) meilleurs amis, au coeur de l'intrigue du film "Les meilleurs amis du monde", réalisé par Julien Rambaldi, et mettant en scène Pierre-François Martin-Laval, Marc Lavoine, Léa Drucker et Pascale Arbillot.

Avec ce pitch, on était en droit d'espérer une comédie mordante et acerbe et, du reste, c'est ce que la bande-annonce laissait penser. L'idée de base du film était audacieuse, quoiqu'un peu légère : par accident, les invités entendent ce qu'on pense réellement d'eux, et décident de se venger à leur façon. Hélas, cela ne suffit pas à assurer une histoire capable de tenir en haleine le spectateur tout un film durant. Le scénario part dans tous les sens, faute d'une ossature solide, avant de tenter de retomber sur ses pieds, tant bien que mal, avec une fin moralisante torpillant le pitch de base, après avoir accumulé les scènes destinées à remplir les vides du scénario.

L'interprétation est plutôt contrastée : si Pierre-François Martin Laval (le Pef des Robins des bois qui semble tout de même se demander ce qu'il fait là) et Léa Drucker (décidément remarquable) tirent leur épingle du jeu, difficile d'en dire autant de Marc Lavoine et de Pascale Arbillot, caricaturaux en beaufs parvenus.

Julien Rambaldi, dont c'est le deuxième film après "Scotch", oriente rapidement son film vers les territoires de la comédie classique, jouant sur les gags faciles plutôt que d'opter pour un ton véritablement mordant. Sombrant souvent dans la facilité et la vulgarité, le film ne tient pas les promesses qu'il portait. On espère, dans sa deuxième partie qu'il s'échappe de l'ornière et exploite un peu plus la psychologie de ses personnages, mais il s'enfonce, irrémédiablement, dans le mièvre, concluant sur une morale dont on se serait bien passé.
Telle une baudruche, la farce sur l'amitié se dégonfle dès les premières minutes. Ne reste alors qu'un film très oubliable.   




vendredi 4 janvier 2013

Etape par étape

Premier croquis

Le fond noir

Viennent les couleurs

Les détails arrivent

Un peu plus de volumes et d'ombres.

Le décor s'assagit

Du volume, de l'ombre !

Et voilà !

mercredi 2 janvier 2013

Je me suis fait tout petit (2012)



Lectrice, lecteur, toi qui passe par ce blog, prends quelques instants pour regarder l'affiche de "Je me suis fait tout petit", qui trône en haut de ce billet. Ne dirait-on pas, aux sourires qui ornent le visage des deux personnages, qu'il s'agit probablement d'une comédie, qui plus est romantique, dont les protagonistes principaux sont la femme et l'homme incarnés par Vanessa Paradis et Denis Ménochet ? Ne jurerait-on pas une énième déclinaison de la rencontre improbable débouchant sur une belle histoire, malgré les embûches qui se présentent ? 
L'affiche est trompeuse, une fois encore, chers lecteurs, puisque ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Ou alors, je n'ai pas vu le même film que la poignée de spectateurs qui se déplacèrent lorsque "Je me suis fait tout petit" sortit en salles. 

Depuis que sa femme l'a quitté, cinq ans auparavant, Yvan s'est muré. Ses deux filles vivent chez sa soeur, une gentille excentrique dont le mari montre des trésors d'empathie, tandis qu'il survit plus qu'il ne vit. Quand le fils de son ex-femme surgit dans sa vie, Yvan va voir sa vie bouleversée par ce petit garçon silencieux, tandis qu'il croise la trajectoire d'une étrange professeure d'arts plastiques, tout en affrontant la rébellion de ses deux adolescentes de filles. 

Le résumé qui précède ne donne probablement pas l'impression que "Je me suis fait tout petit", première réalisation de Cecilia Rouaud, est une comédie romantique. C'est dire à quel point l'affiche (et la bande-annonce) vendirent mal ce film. Il s'agit de l'histoire d'un homme, enfermé dans sa pudeur et ses certitudes, blessé profondément, qui va apprendre à renaître. Alors, certes, il y a dans ce parcours l'étincelle que la rencontre amoureuse peut déclencher, mais "Je me suis fait tout petit", film touchant, sincère, émouvant, n'est en aucun cas une comédie. 

Prodigieusement interprété par Denis Ménochet (déjà remarquable dans le prologue du "Inglorious Basterds" de Quentin Tarantino), le héros de "Je me suis fait tout petit" est entouré de personnages forts mais jamais caricaturaux, tous habités par leurs interprètes. Qu'il s'agisse du trop rare Laurent Lucas, de la délicieuse Léa Drucker ou même de Vanessa Paradis (et je ne cite que les têtes d'affiche, je pourrais allonger la liste, et évoquer au passage le joli travail des plus jeunes interprètes), ce film est un régal pour qui aime les acteurs.

Pour une première réalisation, "Je me suis fait tout petit" ne comporte aucune faute de mise en scène. Visiblement dirigé par une réalisatrice amoureuse de ses acteurs, le film déroule en douceur ses séquences, glissant de temps à autre de jolies scènes, souvent muettes, qui ajoutent à la poésie de l'ensemble. Ayant fait ses premières armes en tant qu'assistante-réalisatrice sur "Une pure affaire", au thème plutôt éloigné de la présente chronique de la vie d'un homme à un tournant capital, Cecilia Rouaud réussit l'épreuve du premier film avec un talent que pourraient lui envier bien des réalisateurs.

Au service d'une histoire ancrée dans son époque et bâtie autour d'un homme prisonnier de ses certitudes, "Je me suis fait tout petit" est de ces films doux-amers, qui font du bien sans faire appel aux ressorts de la comédie, qui touchent parce qu'ils sont sincères. L'échec commercial de ce film est incompréhensible : sa sortie récente en DVD est l'occasion rêvée d'offrir une deuxième chance à "Je me suis fait tout petit". Il le mérite amplement !